"Dieu est Amour" (1 Jn 4, 8).
Il est Amour parce qu'il est Trinité. La première encyclique de Benoît XVI est intitulée : "Dieu est Amour ". C'est quelque chose que nous avons entendu maintes fois et que nous ne nous privons pas de répéter à tort et à travers, même pour justifier ce qui est injustifiable : nos péchés, et pour renvoyer notre conversion aux calendes grecques. En fait, nous sommes devenus si habitués à entendre et à répéter : Dieu est Amour, que nous ne nous rendons même plus compte de ce que cette Révélation -- car c'est bien de cela qu'il s'agit, et non d'une conception humaine, ce à quoi nous la ramenons souvent -- a de révolutionnaire et d'unique, de dérangeant même. Car l'Amour dont il est question n'est pas un amour à dimension humaine, un amour que tout le monde apprécie et applaudit. C'est un Amour ... qui n'est pas aimé, un amour crucifié.
Il y a beaucoup de religions dans le monde, et beaucoup d'entre elles sont animées par un certain pressentiment de la bonté de Dieu. Mais leur point de départ est toujours la recherche de Dieu par l'homme, une recherche forcément limitée et entachée d'erreurs. La foi judéo-chrétienne, au contraire, trouve son point de départ dans une initiative divine : Jésus a été "envoyé par le Père pour guérir et sauver tous les hommes" (cf. préparation pénitentielle) et pour nous donner d'avoir part aux joies de la vie éternelle. C'est ainsi que ceux qui croient en lui ont l'insigne privilège de recevoir la révélation que Dieu fait de lui-même, le Père nous montrant par son Fils et dans l'Esprit qui il est en vérité et à quoi il ressemble :
"Qui me voit, voit le Père".
La caractéristique la plus fondamentale et essentielle de ce Dieu-là est l'amour. Non pas la puissance, ou la transcendance, mais l'amour. C'est la raison essentielle pour laquelle le Verbe s'est fait chair :
"Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle".
Cela nous fait comprendre aussi le mystère de la Très Sainte Trinité. Si Dieu était un Être suprême, mais solitaire, comment sa nature pourrait-elle se définir par l'amour ? L'amour suppose toujours une relation et un don de soi. Or Dieu n'a pas commencé à aimer à l'instant où a eu lieu l'Incarnation, même pas au commencement de la création. Dieu EST amour depuis toujours et pour toujours. Cela n'est possible que s'il est à la fois un et trine : trois personnes divines, vivant depuis toute éternité dans une unité parfaite d'amour mutuel. Dieu est amour. En d'autres mots, comme le dira le Catéchisme : Dieu est un, mais non solitaire (CEC n. 254).
Ceci est très important et a des conséquences très concrètes dans le domaine de la sexualité, par exemple. Le Catéchisme nous enseigne que le mystère de la Sainte Trinité est le mystère central non seulement de la foi mais de toute la vie chrétienne (cf. CEC n. 234), et donc, pas seulement pour nos âmes. La raison en est que nous avons été créés à l'image et à la ressemblance de Dieu, comme il nous le révèle dans la Bible. Par conséquent, si la nature divine consiste essentiellement à aimer, alors nous aussi, nous sommes appelés à aimer. Nous sommes ainsi faits que nous sommes porteurs d'une pré-dispostion à nous ouvrir aux autres, au lieu de vivre en autarcie. Dans le domaine de l'économie politique, on entend parfois l'autarcie être présentée comme étant un idéal à atteindre. Non ! Par nous-mêmes (et cela vaut aussi pour les relations internationales) nous sommes incomplets. Nous sommes créés pour nous donner aux autres et pour accueillir les autres. Voilà aussi la vraie signification de la sexualité humaine, le sens théologique de nos corps.
Dieu nous a créés hommes et femmes. Quand un homme et une femme s'unissent dans le mariage, ils deviennent une seule chair ; ils se donnent l'un à l'autre totalement et pour toujours, sans aucune réserve. Voilà une image de la Sainte Trinité. Le Père, depuis toute éternité, aime le Fils et se donne au Fils ; et le Fils aime le Père en retour en se donnant totalement à lui ; et cet amour mutuel étant un amour substantiel, et pas seulement une qualité, une propriété, mais une relation subsistante, diront les théologiens, une Personne divine, le Saint Esprit qui procède du Père et du Fils.
Eh bien, toute famille humaine est une image de cet Amour trinitaire. Le mari se donne lui-même sans limite à sa femme, et la femme le reçoit et se donne en retour, sans limite. Et c'est par cet amour fait de don total réciproque que Dieu crée une nouvelle vie en ce monde : un enfant, appelé à entrer dans une relation d'amitié avec Dieu pour toujours. Voilà le caractère sacré et la beauté de l'amour conjugal, de l'amour sexuel. Mais voilà aussi la raison pour laquelle l'Église n'a jamais pu et ne pourra jamais négocier dans le domaine de la morale sexuelle, car la sexualité humaine a une signification théologique (qui est le fruit de la foi) que nous devons tous honorer si nous voulons avoir la vie éternelle.
Chaque fois que nous dissocions notre sexualité de cette signification, non seulement nous en abusons, mais nous nous rebellons contre l'amour de Dieu qui nous a créés à son image et à sa ressemblance : à la ressemblance de son oubli de soi pour se donner. Or, au lieu d'accueillir son amour, nous lui faisons la guerre ! L'amour n'est pas aimé, disais-je au début de cette homélie. C'est saint François d'Assise qui le dit, au moment où il rencontre le sultan (musulman).
Saint Francois avait déjà essayé par deux fois de se rendre en Terre Sainte pour faire connaître le Christ aux Musulmans, mais à chaque tentative, il tombait malade en cours de route et était obligé d'abandonner son projet. En 1219, la guerre fait rage entre les Croisés et l'Islam. Les deux armées se faisaient face. Le sultan El-Kamil avait même publié un décret promettant une forte récompense en or à quiconque apporterait la tête d'un chrétien. Les Croisés, commandés par Pélage, essayaient de prendre le port de Damiette avec l'intention de conquérir l'Égypte. Dans le camps des Croisés on prend François et son compagnon, Illuminé, pour des fous. On essaye de les empêcher de partir car on est sûr qu'ils se feront massacrer. Mais face à la détermination de Saint François, ils les laissent partir.
Contre toute attente, nos deux "fous" ont la vie sauve et arrivent à rencontrer le sultan. El-Kamil était un chef de guerre, un homme politique et un fin diplomate. Tous les dignitaires, conseillers ou théologiens prennent place de chaque côté du sultan. On amène alors François et Illuminé. Les bures rapiécées et décolorées des deux frères contrastaient avec le luxe oriental de cette salle d'audience. S'adressant alors aux deux inconnus, le sultan leur demande qui les envoyait, pourquoi et à quel titre, et comment ils avaient fait pour venir. Avec une belle assurance François lui répond qu'il avait été envoyé d'au-delà des mers, non par un homme, mais par le Dieu très haut pour lui indiquer, à lui et à son peuple, la voie du salut et leur annoncer l'évangile. Il se met tout simplement à prêcher au sultan Dieu-Trinité et Jésus, sauveur du monde.
Le sultan avait déjà entendu parler de la religion chrétienne. Pourtant une objection le pressait : pourquoi les chrétiens qui croient en un Dieu-Amour et qui ont toujours le mot charité à la bouche, s'acharnent-ils à nous faire la guerre ? Leurs moeurs ne sont pas douces. Ils veulent et Jérusalem et l'Egypte. Pourquoi ce désir brutal de domination ? Qu'ils lèvent le siège devant Damiette et nous croirons à leur volonté de paix. François avait baissé les yeux, le visage assombri, triste. Il sentait peser sur lui en cet instant comme un poids énorme. Là-bas, devant Damiette, il y avait toute cette machine de guerre des chrétiens, ce cercle de fer dans lequel ils s'efforçaient jour après jour d'étrangler la ville. François se borne à répondre humblement, gravement :
- "Sire, l'Amour n'est pas aimé. L'Amour en ce monde est toujours crucifié."
Prions donc le Saint Esprit pour qu'il fortifie l'Amour qui a été répandu dans nos coeurs depuis notre baptême afin que nous cessions de crucifier l'Amour par nos péchés et que nous puissions témoigner devant ceux qui ne croient pas, par nos paroles et nos actes, que "Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique" ... quitte à nous faire crucifier.