À l’occasion de la sortie du livre collectif "Liquider Mai 68 ?" dirigé par Chantal Delsol et Matthieu Grimpret (Presses de la renaissance), nous ouvrons une série de réflexions des auteurs, où chacun, dans son domaine de compétence, livre son analyse des "événements", de leurs conséquences, et de leur… célébration. Faut-il liquider Mai 68 ? Si non, pourquoi, et si oui, comment ? Cette semaine, après l’économiste Jean-Louis Caccomo, entretien avec Chantal Delsol, de l’Institut.
LIBERTE POLITIQUE. — Quel est, selon vous, le plus mauvais des fruits de Mai 68 ?
CHANTAL DELSOL. — Indiscutablement, l’abaissement de l’autorité. Mais tout de suite, il me faut préciser que tout événement néfaste a son revers positif : ainsi les événements de Mai 68, et tout ce qui gravite autour, ont eu le mérite de poser le problème de l’autorité et de sa légitimation. Au-delà de toutes les foutaises, le mouvement de Mai voulait répondre à une vraie question. Et il y a répondu. Au prix fort, certes !
Quelle était cette question ?
Celle des fondements de l’autorité individuelle et collective. Au cours de son histoire, la civilisation occidentale est peu à peu passée d’une éducation d’initiation à une éducation d’initiative. En d’autres termes, dans notre culture européenne, l’éducation ne va pas de soi. Il est légitime de se poser des questions sur la manière dont on transmet – ou non – les savoirs et les comportements, et ce que sont ces savoirs et ces comportements.
En effet, la transmission doit servir à former un être autonome. Or cette autonomie encouragée à la fois par l’héritage grec et par l’héritage chrétien s’est longtemps heurté à l’autoritarisme paternel, un autoritarisme de nature presque sauvage, qui s’analyse notamment avec les outils de l’ethnologie et de la psychologie. Le problème qui se glisse derrière Mai 68, c’est la difficulté à réformer sans détruire : les acteurs de Mai ont détruit ce que personne ne pouvait amender. Puis ils ont fini par récuser, non seulement les modalités de transmission, mais aussi le contenu même de ce qui était transmis. Naturellement, il aurait mieux valu une transformation sereine, qui n’aurait pas jeté le bébé avec l’eau du bain.
Surtout que ce sont les plus fragiles qui ont payé les pots cassés de la pseudo-révolution des soixante-huitards…
En effet. D’une part, j’ai tendance à considérer que certains aspects de Mai 68 font de ce mouvement une pantalonnade d’enfants gâtés. D’autre part, c’est l’absence du père qui fragilise le plus les familles aujourd’hui – fragilité humaine, matérielle, psychologique, presque métaphysique. La psychologue Elsa Godard l’explique très bien dans notre livre. Les relations entre homme et femme, parents et enfants, sont devenues très difficiles à la suite de Mai 68, qui s’apparente d’une certaine manière à une véritable explosion pulsionnelle. Le père de famille a été voué aux gémonies, si bien qu’il a pratiquement disparu, et les psychiatres le disent : autrefois l’enfant était dépressif par trop de père, aujourd’hui, par absence de père.
Tout était-il mauvais dans Mai 68 ?
Non, sans doute pas. Ne serait-ce que parce qu’une société a besoin d’avancer, de sentir qu’elle évolue et progresse. Pour ma part, je crois à l’amélioration des sociétés humaines. Mais tout ce qui bouge n’est pas forcément un progrès. On dit souvent que le bien ne fait pas de bruit – ce n’est pas faux. À chaque grande étape de l’histoire, il faut déceler et combattre les perversions qui se glissent à la faveur de la médiocrité humaine – la mienne, la vôtre, la nôtre.
Éviter les effets de balancier, qui nous trimballent d’un extrémisme à l’autre : voilà l’enjeu. Qu’une idée devienne folle ne signifie pas nécessairement qu’il faille la liquider, pour reprendre le titre de notre livre. L’histoire nous le montre. Par exemple, les errements des Lumières n’ont pas pu détruire la vocation chrétienne d’amélioration du monde.
En quoi la conception qu’on se fait de l’action politique a-t-elle changé à la suite de Mai 68 ?
Des slogans du style « Demandons l’impossible » sont proprement ahurissants ! Ils sont même mortifères. La cité parfaite n’existe pas ; les rêves de grand soir sont illusoires. Le soir finit toujours en nuit, d’ailleurs… En réalité, la question est de savoir quel prix nous sommes prêts à payer pour le progrès. Les bénéfices de Mai 68 – puisqu’ils existent – auraient pu se déployer sans devoir passer par une dégringolade qui nous laisse encore pantois. Tout a été à l’excès, sans doute aussi parce que certaines idéologies s’en sont mêlées, qui ne demandaient, elles, qu’à effacer de la terre toute l’autorité des anciennes sociétés, afin d’instaurer la leur. Une autorité oppressive et massifiante.
Quelle solution, alors ?
Le mouvement de Mai a laissé des séquelles graves, nous le savons bien. Mais la réalité anthropologique a le dernier mot : nous sommes en train de réapprendre, devant les conséquences de ces catastrophes, que nulle transmission ne peut s’accomplir sans autorité, et que l’apprentissage de l’initiative ne se passe jamais de l’autorité du père. Les cheveux longs sont aujourd’hui des cheveux blancs : le réel reprend le dessus, qu’on le veuille ou non. La démographie est mère des sciences humaines. Je terminerais par les vers de Jules Supervielle que je commente dans ma contribution au livre Liquider Mai 68 ? :
Tes yeux trouveraient dans les miens
le secours que l’on peut tirer
De cette chose haute à la voix grave
qu’on appelle un père dans les maisons.
Liquider mai 68 ?
Par Chantal Delsol et Matthieu Grimpret (dir)
Presses de la renaissance, avril 2008, 292 p., 19,95 €.
■ Avec Patrice de Plunkett, Denis Tillinac, Christophe Durand, Jean Sévillia, Jean-Marie Petitclerc, Paul-Marie Coûteaux, Sarah Vajda, Antoine-Joseph Assaf, Jacques Garello, Ludovic Laloux, Elsa Godart, François Grimpret, Jean-Louis Caccomo, Pierre Guénin, Steve Frankel, Michelle d'Astier de La Vigerie, Ioanna Novicki, Dominique Folscheid, Ilios Yannakakis.
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