La hausse des prix pèse très lourd sur les budgets de populations pour lesquelles l’alimentation représente 50 à 60 % des dépenses de consommation. Des émeutes ont éclaté dans plusieurs capitales africaines, à Haïti mais aussi aux Philippines, en Indonésie et au Pakistan.
En fait, la hausse des prix touche essentiellement les populations urbaines : les ruraux vivent le plus souvent en auto-subsistance et pourraient bien profiter de cette hausse s’ils arrivent à approvisionner les marchés urbains. Malheureusement, au moins en Afrique ou à Haïti, les modes traditionnels de production ne permettront pas une réponse rapide à la demande.
Contrevérités
La crise alimentaire est l’occasion d’énoncer un bon nombre de contrevérités ou d’approximations qui n’aideront pas à la résoudre. Évidemment, les principaux responsables de la crise, les gouvernants, rejettent sur l’extérieur la responsabilité de la situation. On accuse d’abord les subventions des pays du Nord à leurs agriculteurs : à part le coton, très largement subventionné aux États-Unis, on ne voit pas très bien quelles productions du Nord sont en concurrence avec des productions du Sud, et le coton n’est pas une culture vivrière. Les subventions à nos agriculteurs affectent la concurrence avec l’Australie, l’Argentine ou les États-Unis mais pas l’Afrique ou Haïti. Nous sommes en train de réduire notre production de sucre de betterave pour laisser toute sa place à la production issue de la canne.
Une autre rengaine concerne la place primordiale donnée aux cultures d’exportation : le coton, le café, le cacao expulseraient la production vivrière. C’est tout le contraire. Le développement des cultures d’exportation s’accompagne presque partout d’une croissance de la production vivrière car celle-ci profite des techniques nouvelles et bénéficie du détournement d’une partie des intrants des cultures de rente.
Les pays du Nord seraient aussi responsables des changements de comportement alimentaire privilégiant des produits importés. Le père de La Morandais est même allé jusqu’à dire que les Sénégalais consommaient du riz parce que la France écoulait en Afrique les surplus de la production indochinoise (I-Télé, 20/04/08) ! La France a quitté l’Indochine en 1954… et le riz est une production traditionnelle de l’Afrique, mais ses méthodes de culture et sa production n’ont rien à voir avec ce qui se fait en Asie. Les enquêtes de consommation faites dans les villes africaines montrent effectivement qu’on y consomme des produits importés mais elles montrent surtout la remarquable permanence des préparations culinaires traditionnelles.
Enfin on accuse aussi les bio carburants. Le colza n’est pourtant pas un produit vivrier… Il est vrai que la production d’éthanol absorbe 20 % de la production de maïs des États-Unis et cela influence le marché mexicain. Mais pourquoi le Mexique a-t-il besoin du maïs des États-Unis ? En Asie, la production des bio carburants fait appel à l’huile de palme qui est aussi un produit vivrier et la concurrence est réelle. Elle ne l’est ni sur le riz, ni sur le blé, ni sur le lait…
La mauvaise gouvernance
La crise alimentaire tient avant tout à la mauvaise « gouvernance ». Les gouvernants africains n’ont prêté aucune attention à leurs populations rurales : ils sont sous la pression des populations urbaines (encore minoritaires) et les bas prix des marchés mondiaux les arrangeaient bien. Et ce d’autant plus que les importateurs de produits vivriers sont le plus souvent proches des gouvernants auxquels ils versent de confortables commissions.
Il faudra longtemps pour que les productions locales satisfassent la totalité de la demande urbaine. Le développement d’une agriculture productive est une affaire de longue haleine et qui exige un marché protégé au moins pendant un certain temps.
Comme nous l’avons déjà indiqué précédemment (Les bio-carburants vont-ils affamer le tiers-monde ? Décryptage, 6 juillet 2007), la crise a des raisons conjoncturelles mais surtout structurelles. L’amélioration du bol alimentaire des populations des pays émergeants en est la principale cause. Et cela fait plusieurs années que la FAO tire la sonnette d’alarme : nos propres gouvernants n’y ont pas prêté grande attention. Le prix du lait (dont la production était limitée par des quotas) était descendu si bas que beaucoup d’éleveurs se sont détournés d’une production qui n’assurait que de médiocres revenus. Aujourd’hui, il faut reconstituer les troupeaux et c’est une affaire de plusieurs années. Il n’est pas étonnant que les produits laitiers soient les plus touchés par la hausse des prix.
Faut-il craindre des famines ? Peut-être, mais pas à cause de la nature.
Sylvie Brunel, agrégée de géographie, docteur en économie, a travaillé plus de vingt ans au sein de l'ONG Action contre la Faim. Son livre Famines et Politique (Presses de Sciences Po) fait une analyse des grandes famines du XXe siècle et en dresse une typologie. Qu'en ressort-il ? Que les conditions naturelles peuvent réduire de façon dramatique les approvisionnements mais que les famines, elles, sont dues à l'incapacité des politiques à faire face aux évènements.
Soit les gouvernements n'ont pas mis en place les politiques favorables à la production, soit ils n'ont pas anticipé les évènements, soit, ils « utilisent » les évènements pour attirer la manne humanitaire qu'ils confisquent à leur profit personnel, ou encore ils ont provoqué la famine pour faire disparaître leurs opposants réels ou supposés, le pire exemple dans ce genre étant la famine imposée à l’Ukraine par le régime soviétique dans les années trente.
La Terre est tout à fait capable de nourrir ses habitants. Mais encore faut-il la gérer dans le respect de la volonté du Créateur. « Cherchez le Royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît. » (à suivre)
Pour en savoir plus :
■ Sylvie Brunel, Famines et Politiques, Presses de Sciences Po, 2007