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Praedicatho homélies à temps et à contretemps

Praedicatho homélies à temps et à contretemps

C'est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire. Crédit peintures: B. Lopez


Mai 68 ou le chant du cygne du marxisme

Publié par dominicanus sur 11 Mai 2008, 14:46pm

Catégories : #actualités

Mai 68 ou le chant du cygne du marxisme Il est remarquable de voir à quel point des événements aussi récents que ceux de Mai 68 ont pu être en quelques années profondément déformés.

Le point fort dont il semble qu’on ait perdu le souvenir est que la rhétorique dominante tout au long de ces événements fut marxiste. Peut-être le marxisme a-t-il là jeté ses derniers feux ? Il reste que les principaux groupes qui impulsèrent le mouvement, les maoïstes (appelés alors « Union des jeunesses marxistes-léninistes » et plus tard « Gauche prolétarienne »), les trois mouvements trotskystes, le PSU (où les chrétiens étaient pourtant nombreux), l’UNEF et même le « Mouvement du 22 mars » qui, plus ou moins les fédérait, se référaient d’abord à Marx et à Lénine, puis, qui à Trotski, qui à Mao, qui à Che Guevara. Pas à Freud [1].

Il n’était question dans les couloirs des universités en grève que de la lutte des classes, de la Révolution, de l’injustice faite aux ouvriers ou aux fils d’ouvriers, ou au tiers-monde : Bourdieu venait de publier Les Héritiers que le théâtre de l’École normale supérieure avait mis en scène au cours de l’hiver. Le voisinage, invraisemblable aujourd’hui, d’un immense bidonville n’avait pas fait peu pour alimenter la mauvaise conscience des étudiants de Nanterre où a débuté le mouvement. Les manifestations contre l’intervention des États-Unis au Vietnam et pour le Vietcong avaient tout au long de l’hiver 1967-1968 servi de répétition au mouvement de mai.


La lutte des classes avant le sexe

Certes, quelques-uns des initiateurs du mouvement, comme Cohn-Bendit connaissaient Marcuse et Reich, mis à la mode en Californie l’année précédente et qui avaient mêlé le thème sexuel à la lutte des classes, mais l’austère Althusser eut bien plus d’influence. Certes encore, le premier incident fut lié à la revendication des étudiants du droit d’entrer dans les bâtiments des étudiantes à la cité universitaire de Nanterre, ce qui fit dire au général de Gaulle, goguenard : « Ils voulaient des locaux et des maîtres, ils veulent à présent des lits et des maîtresses [2] ! »

Mais tout cela est anecdotique ; les romans de Françoise Sagan, les films de Louis Malle, les dessins de Kiraz étaient déjà là pour nous rappeler que les filles de la bonne société n’avaient pas attendu mai 68 pour jeter leur gourme. La pilule était légale depuis 1967, le concile avait précipité la crise de l’Église quatre ou cinq ans plus tôt. Sur les barricades, il ne fut jamais question à notre connaissance des droits des homosexuels. Qui peut douter que la « révolution sexuelle » aurait eu de toutes façons lieu sans Mai 68 ? L’évolution parallèle des pays étrangers le démontre. Moins que la morale sexuelle, c’est en fait la morale tout court qui fut atteinte : les leçons de morale héritées de Jules Ferry, qui n’avaient rien de sexuel, furent à ce moment là supprimées à l’école élémentaire sans qu’aucune circulaire l’ait formalisé.

Mouvement de jeunesse sans doute, Mai 68 fut-il un mouvement des étudiants ? Moins qu’on croit. La manifestation du 13 mai 1968 rassembla près d’un million de personnes mais l’essentiel était composé de salariés répondant à l’appel des organisations syndicales, CGT en tête. Quand les syndicats ouvriers n’y participaient pas, les manifestations parisiennes ne dépassèrent guère les 50 000 personnes, dont une moitié de lycéens et, de plus en plus de jeunes qui n’étaient pas étudiants. Or il y avait plus de 250 000 étudiants en région parisienne. La proportion des étudiants manifestants semble avoir été un peu plus forte en province.

La prégnance du discours marxiste explique certains dessins diffusés par l’École des Beaux-Arts comme celui, odieux, qui montrait Hitler sous le masque de De Gaulle. Ce n’était là rien d’autre que l’illustration de la théorie marxiste selon laquelle tous les régimes bourgeois se valent, le régime hitlérien détenant par sa radicalité la vérité cachée des autres. Le thème « CRS-SS » est de la même eau. À cet égard, Mai 68 fut moins une rupture que le prolongement et la radicalisation de l’opposition de gauche au général de Gaulle qui s’était exprimée tout au long des années soixante. Opposition où le marxisme (la « philosophie indépassable de notre temps » disait Jean-Paul Sartre), au moins au lycée et à l’Université, était hégémonique.

Mai 68 : révolte contre les maîtres ou leçon trop bien apprise ? On peut se poser la question. Le fait nouveau en 1968 fut que le Parti communiste avait, au moins dans le monde étudiant, perdu son leadership au bénéfice des « gauchistes » (expression inventée par Lénine et reprise par le PCF). Pour ce dernier, c’était la conséquence du ralliement de trop de jeunes bourgeois à la cause de la Révolution. Même si les « fils du peuple » furent plus nombreux qu’on ne l’a dit chez les gauchistes, il n’avait sans doute pas entièrement tort.

Il reste que le marxisme-léninisme de ces derniers était en peau de lapin. L’auteur de ces lignes se souvient d’avoir un jour poussé dans ces retranchements un maoïste qui n’avait que la Révolution à la bouche : « Si vous êtes logique, ce n’est pas la Sorbonne qu’il faut prendre, c’est l’Élysée. » Il n’en fut pas question. Il était entendu, sans que personne l’avoue, que cette révolution devait être un coïtus interruptus. C’est sans doute là que la psychanalyse reprend ses droits. Tuer le Père (le général ?) d’accord, mais seulement sur le plan symbolique.

À cette impuissance des soi-disant révolutionnaires répondait d’ailleurs celle du chef de l’État qui multipliait les consignes de fermeté, sans qu’on sache bien si lui aussi les prenait au sérieux. Si elles avaient été appliquées, le sang aurait coulé et sa mémoire en eut été ternie. Mais ni ses ministres, ni le préfet de police, l’admirable Maurice Grimaud, ne prirent ces consignes à la lettre. D’où ce miracle d’une « révolution » où, au moins à Paris, personne n’a laissé la vie.


Trois paradoxes

L’histoire est pleine de paradoxes.

Le premier vainqueur de ce mouvement né dans la protestation contre l’impérialisme américain au Vietnam, fut le dollar qui vit, grâce à la crise du franc, sa dévaluation retardée de trois ans. Il est vrai que le monde anglo-saxon se réjouit dans l’ensemble d’événements dans lesquels il vit la juste punition de la morgue du général de Gaulle à son encontre. Hasard ? Mai 68 suivit de peu les retournements spectaculaires de la politique étrangère de la France : retrait de l’Otan, attaques contre le dollar, voyage en URSS, au Québec, discours de Pnom-Penh, condamnation d’Israël. La retraite du général de Gaulle en 1969, conséquence retardée du mouvement de Mai fut leur revanche. Les Américains n’ont sans doute pas provoqué le mouvement. En ont-ils soufflé les braises ? Rien n’est exclu. L’évolution ultra-atlantiste de beaucoup de fils de Mai, en France et à l’étranger, n’est en tous les cas un paradoxe qu’en apparence.

L’autre vainqueur fut Georges Pompidou. Non seulement il gagna les élections : les législatives de 1968 puis les présidentielles de 1969, mais la hausse importante des salaires qu’il concéda aux accords de Grenelle, pour calmer le mouvement, fut le plus beau coup de fouet keynésien qu’ait jamais reçu l’économie française. Les cinq années qui suivirent connurent taux de croissance les plus élevés de l’après-guerre. La contestation de la société de consommation déboucha sur l’ industrialisation à outrance. Autre paradoxe.

Le troisième vainqueur fut François Mitterrand. Paradoxe aussi parce que s’il y avait un homme politique détesté par toutes les composantes du mouvement sans exception, c’était bien lui. Quelque part, De Gaulle était respecté, un Mendès-France apparaissait même comme le recours des franges les plus modérées du mouvement de mai. Mais Mitterrand était alors le symbole abhorré de la gauche archaïque et de la IVe République. Il réussit pourtant à remonter le courant. Sa victoire de 1981 s’inscrit, qu’on le veuille ou non, dans le sillage de Mai 68. Non seulement parce que c’est alors qu’aboutit le long travail d’usure mené par toutes les gauches à l‘encontre de la Ve République mais aussi parce que l’essentiel de ses troupes, au moins la partie la plus jeune, était culturellement héritière de Mai.

Et il est bien vrai enfin que si la rhétorique marxiste fut dominante dans tous les discours de ce printemps fou, ce fut pour elle — et pour son principal porte-parole le PCF — l’été de la Saint-Martin, le commencement de la fin. Mais cela, nous ne le savions pas encore.
 
Roland Hureaux 
 
(Source : Décryptage) 
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