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Publié par dominicanus

    Ici, dans le cadre de ce discours inaugural, évidemment, je ne puis présenter le riche témoignage pluristratifié du Nouveau Testament quant à notre problème. J’essaierai simplement d’évoquer deux thèmes. Il faut, avant tout, et comme fait très important que, dans le Nouveau Testament, le Christ soit désigné comme “L’image de Dieu” (2 Co, 4,4 ; Col 1,15). Les Pères ont inséré, ici, une observation linguistique qui n’est peut-être pas très soutenable, mais qui correspond certainement à l’orientation intérieure du Nouveau Testament et de sa réinterprétation de l’Ancien. Voici ce qu’ils disent : du Christ seul, nous est enseigné qu’il est “l’image de Dieu”, l’homme, au contraire, n’est pas l’image de Dieu, mais à l’image, créé à l’image, selon l’image. Il devient image de Dieu, dans la mesure où il entre en communion avec le Christ et se conforme à lui.

    En d’autres termes : l’image originaire de l’homme, qui, à son tour, représente l’image de Dieu, c’est le Christ, et l’homme est créé à partir de son image, sur son image. La créature humaine est en même temps, projet préliminaire en vue du Christ, ou bien, le Christ est l’idée fondamentale du Créateur, et il forme l’homme en vue du Christ, à partir de cette idée fondamentale. Le dynamisme ontologique et spirituel qui se dissimule en cette conception, devient particulièrement évident en Rom. 8, 29 et 1 Co. 15, 49, mais aussi en 2 Co, 4,6. Selon Rm 8, 29, les hommes sont prédestinés “à reproduire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères”. Cette conformation à l’image du Christ s’accomplit dans la résurrection, en laquelle il nous a précédés - mais la résurrection, il est nécessaire de le rappeler, déjà ici, présuppose la croix. La première Lettre aux Corinthiens distingue le premier Adam, qui a été fait “âme vivante” (15, 45 ; cf. Gn 2, 7) et le second Adam qui fut fait “Esprit” donneur de vie : “Et de même que nous avons porté l’image du terrestre, nous porterons aussi l’image du céleste” (15, 49). Ici est présentée en toute clarté, la tension intérieure de l’être humain entre la glaise et l’esprit, entre la terre et le ciel, entre l’origine terrestre et le futur divin. Cette tension de l’être humain dans le temps et au-delà du temps appartient à l’essence de l’homme. Et cette tension le situe exactement au centre de la vie, en ce moment. Il est toujours en route vers lui-même, ou bien en train de s’en éloigner ; il s’achemine vers le Christ ou il s’en éloigne. Il se rapproche de son image originelle, ou il l’esquive et la détruit.

    Le théologien d’Innsbruck, F. Lakner, a exprimé, avec bonheur cette conception dynamique de la ressemblance divine chez l’homme, caractéristique du Nouveau Testament, de la manière suivante : “être l’image de Dieu pour l’homme se fonde sur la prédestination à la filiation divine à travers l’incorporation mystique en Christ” ; être l’image est donc une fin inhérente à l’homme, dès la création, “vers Dieu, au moyen de la participation à la vie divine en Christ”. Et, maintenant, nous en arrivons à la question décisive de notre thème : cette ressemblance divine peut-elle être détruite ? et éventuellement, comment ? Existe-t-il des êtres humains qui ne sont pas image de Dieu ?

    La Réforme, dans sa radicalisation de la doctrine du péché originel a répondu affirmativement à cette demande et a dit ceci : Oui, par le péché l’homme peut détruire en lui-même l’image de Dieu et, en effet, il l’a détruite. En effet, l’homme pécheur, qui ne veut pas reconnaître Dieu et qui ne respecte pas l’homme, au point de le tuer - ne représente pas l’image de Dieu, mais la défigure, Le contredit Lui qui est Sainteté, Vérité et Bonté.

    Le rappel de ce qui a été dit au début peut, et même, doit nous inviter à nous poser cette demande : chez qui, l’image de Dieu est-elle la plus obscurcie, la plus défigurée, ou la plus éteinte - chez l’assassin à froid, bien conscient de lui-même, puissant et intelligent, c’est possible, qui se fait Dieu et se moque de Dieu, ou chez l’innocent souffrant, où la lumière de Dieu luit faiblement ou bien n’est même plus perceptible ? Mais, la demande est ici prématurée.

    Nous devons dire d’abord que la thèse radicale de la Réforme est apparue insoutenable, précisément, à partir de la Bible. L’homme est image de Dieu, en tant qu’homme. Et tant qu’homme, il est un être humain, il est mystérieusement tendu vers le Christ, vers le Fils de Dieu fait homme et donc tourné vers le mystère de Dieu. L’image divine est connexe à l’essence humaine en tant que telle, et il n’est pas au pouvoir de l’homme de la détruire. Mais ce que l’homme peut certainement faire, c’est défigurer cette image, être en contradiction intérieure avec elle.

    Ici il faut citer Lakner, de nouveau : “...la force divine brille dans la lacération causée par les contradictions... en ce monde, l’homme, comme image de Dieu, est donc l’homme crucifié”. Entre la figure de l’Adam terrestre, tiré de la glaise, que le Christ a assumé en commun avec nous dans l’incarnation, et la gloire de la résurrection, il y a la croix : le chemin des contradictions et des traits défigurés de l’image vers la conformation au Christ, dans lequel se manifeste la gloire de Dieu, passe à travers la souffrance de la croix.

    Parmi les Pères de l’Église, Maxime le Confesseur, est celui qui a le plus réfléchi sur la connexion entre la ressemblance divine et la croix. L’homme qui est appelé à la “synergie”, à la collaboration avec Dieu, s’est mis, au contraire, en opposition avec lui. Cette opposition est “une agression envers la nature de l’homme”. Elle “défigure le vrai visage de l’homme, l’image de Dieu, puisqu’elle sépare l’homme de Dieu, le tourne vers lui-même, et érige la tyrannie de l’égoïsme entre les hommes”. Le Christ a dépassé cette opposition au cœur même de sa nature humaine, il l’a transformée en communion : l’obéissance de Jésus, sa mort à lui-même est le véritable exode qui libère l’homme de sa déchéance intérieure en le conduisant vers l’unité de l’amour en Dieu. Le crucifix est ainsi la vivante “icône de l’amour” ; précisément, en la personne du crucifié, en ce visage écorché et frappé, l’homme redevient transparence de Dieu, l’image de Dieu recommence à briller.

    C’est ainsi que la lumière de Dieu repose sur les personnes souffrantes, dans lesquelles la splendeur de la création s’est extérieurement obscurcie ; elles sont d’une manière très particulière semblables au Christ crucifié, à l’icône de l’amour, elles présentent certains points communs, avec celui qui, seul, est “l’image même de Dieu”. Nous pouvons leur attribuer la parole que Tertullien a formulée en la référant au Christ : “Aussi misérable que puisse être son corps..., ce sera toujours mon Christ..” (Adv. Marc. III, 17, 2). Aussi grande que soit leur souffrance, aussi défigurés et ternis soient-ils en leur existence humaine - ils seront toujours les fils privilégiés de Notre Seigneur, ils en seront toujours l’image, d’une manière particulière.

    En se fondant sur la tension entre mise dans l’ombre et future manifestation de l’image de Dieu, on peut appliquer la parole de la première Lettre de Jean “dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté” (3,2). Nous aimons en tous les humains, mais surtout chez les êtres souffrants, chez les handicapés mentaux, ce qu’ils seront et ce qu’ils sont déjà en réalité, dès maintenant. Dès maintenant, ils sont fils de Dieu - à l’image du Christ, même si ce qu’ils deviendront n’a pas encore été manifesté. Le Christ en croix s’est définitivement assimilé aux plus pauvres, aux sans défense, aux plus souffrants, aux plus abandonnés, aux plus méprisés. Et parmi eux, ceux dont s’occupe notre colloque d’aujourd’hui, ceux dont l’âme raisonnable n’arrive pas à s’exprimer parfaitement au moyen d’un cerveau infirme ou malade comme si, pour une raison quelconque, la matière s’opposait à être assumée par l’esprit. Ici, Jésus révèle l’essentiel de l’humanité, ce qui en est le véritable accomplissement, non l’intelligence, ni la beauté, encore moins, la richesse ou le plaisir, mais la capacité d’aimer et de consentir amoureusement à la volonté du Père, aussi déconcertant cela soit-il. Mais la passion de Jésus débouche sur la résurrection.

    Le Christ ressuscité est le point culminant de l’histoire, l’Adam glorieux vers lequel tendait déjà l’Adam “terrestre”. Ainsi se manifeste la fin du projet
divin : tout homme est en chemin, du premier au second Adam. Aucun de nous n’est encore pleinement soi-même. Chacun doit le devenir, comme le grain de froment qui doit mourir pour porter du fruit, comme le Christ ressuscité est infiniment fécond parce qu’il s’est donné de manière infinie. Une de nos grandes joies au paradis sera, sans aucun doute, la découverte des merveilles que l’amour aura opérées en nous, et que l’amour aura opérées en chacun de nos frères et sœurs, les plus malades, les plus défavorisés, les plus touchés, les plus souffrants, alors que nous ne comprenions même pas comment de leur part, l’amour était possible, alors que leur amour demeurait caché dans le mystère de Dieu. Oui, l’une de nos joies sera de découvrir nos frères et sœurs dans toute la splendeur de leur humanité, dans toute leur splendeur d’image de Dieu.

    L’Église croit, dès aujourd’hui, à cette splendeur à venir. Elle se veut attentive à en souligner même le moindre signe qui déjà la laisse entrevoir. Car, dans l’au-delà, chacun de nous brillera d’autant plus qu’il aura imité le Christ, dans le contexte et selon les possibilités qui lui auront été octroyées.

    Qu’il me soit permis ici de témoigner de l’amour de l’Église envers les personnes atteintes de souffrances mentales. Oui, l’Église vous aime. Elle n’éprouve à votre égard que la seule “prédilection” naturelle d’une mère pour ses fils les plus souffrants. Elle n’est pas simplement dans l’admiration de ce que vous serez un jour, mais de ce que vous êtes déjà. Images du Christ que nous devons honorer, respecter, aider dans la mesure du possible, très certainement, mai surtout, images du Christ porteuses d’un message essentiel sur la vérité de l’homme. Un message que nous avons trop tendance à oublier : notre valeur devant Dieu ne dépend ni de l’intelligence, ni de la stabilité de notre caractère, ni de la santé qui nous permettent d’exercer de multiples activités généreuses. Ces caractéristiques peuvent disparaître d’un moment à l’autre. Notre valeur devant Dieu ne dépend que du choix que nous faisons d’aimer le plus possible, d’aimer le plus possible en vérité.

    Dire que Dieu nous a créés à son image, c’est dire, qu’il a voulu que chacun de nous manifeste un aspect de sa splendeur infinie, qu’il a un projet sur chacun de nous, que chacun de nous est destiné à entrer dans l’éternité bienheureuse par un itinéraire qui lui est propre. La dignité de l’homme n’est pas quelque chose qui s’impose à nos yeux, elle n’est ni mesurable, ni quantifiable, elle échappe aux paramètres de la raison scientifique ou technique ; mais notre civilisation, notre humanisme, ne font des progrès que dans la mesure où cette dignité est le plus universellement et le plus pleinement reconnue par davantage de personnes. Tout retour en arrière en ce mouvement d’expansion, toute idéologie ou action politique qui exclurait certains êtres humains de la catégorie de ceux à qui est dû le respect, marquerait un retour vers la barbarie. Et nous savons, malheureusement, que la menace de la barbarie est suspendue toujours sur nos frères et sœurs qui souffrent d’une limitation ou d’une maladie mentale.

    Un de nos devoirs de chrétiens est de faire reconnaître, respecter et promouvoir pleinement leur humanité, leur dignité et leur vocation de créatures à l’image et à la ressemblance de Dieu.

    Je voudrais profiter de l’occasion qui m’est offerte pour remercier toutes les personnes, et elles sont nombreuses ici, qui, par la réflexion ou la recherche, l’étude ou les diverses thérapeutiques, s’engagent à rendre cette image toujours plus reconnaissable.

Cardinal JOSEPH RATZINGER
Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi


(Source: ZENIT.org 19/05/2005)
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