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Publié par dominicanus

undefined    En ce dernier dimanche du Temps de Noël, il nous reste à découvrir, dans notre survol de "Spe salvi", l'encyclique de Benoît XVI sur l'espérance, le dernier lieu d'apprentissage et d'exercice de l'espérance : le Jugement.
Dans le grand Credo de l'Église, la partie centrale, qui traite du mystère du Christ à partir de sa naissance éternelle du Père et de sa naissance temporelle de la Vierge Marie pour arriver par la croix et la résurrection jusqu'à son retour, se conclut par les paroles : "Il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts". (n. 41)

    En cela nous n'oublions pas que nous célébrons le Baptême du Seigneur, bien au contraire. Le thème du jugement appelle celui de la justice :
Déjà dès les tout premiers temps, la perspective du Jugement a influencé les chrétiens jusque dans leur vie quotidienne en tant que critère permettant d'ordonner la vie présente, comme appel à leur conscience et, en même temps, comme espérance dans la justice de Dieu. (ibid.)

    L'on voit aisément le lien avec les paroles de Jésus dans l'évangile du jour :
"Pour le moment, laisse-moi faire ; c'est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste."

    "Justice" a un sens très riche dans la Bible. Le mot fait référence au plan que Dieu, dans son inifnie bonté et son infinie sagesse, a prévu pour le salut de l'homme. Par conséquent, l'expression "accomplir toute justice" signifie accomplir la volonté et les desseins de Dieu. Rappelez vous les paroles de la prière d'ouverture de la messe :
Dieu éternel et tout-puissant, quand le Christ fut baptisé dans le Jourdain, et que l'Esprit Saint reposa sur lui, tu l'as désigné comme ton Fils bien-aimé ; Accorde à tes fils adoptifs, nés de l'eau et de l'Esprit, de se garder toujours dans ta sainte volonté. Par Jésus Christ.

    Voilà le fruit du mystère du Baptême de Jésus, le Fils bien-aimé : que nous, les fils adoptifs, nous puissions "accomplir parfaitement ce qui est juste" aux yeux du Père.

    La justice est donc, dans le langage de la Bible, ce que l'on appelle maintenant la sainteté.
"Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés !" (Mt 5, 6)
    Saint Jérôme écrivait que notre Seigneur demande, dans cette béatitude, de ne pas se contenter d'un vague désir de justice, mais d'aimer et de rechercher de toutes ses forces ce qui nous rend juste aux yeux de Dieu, d'avoir un vif désir de sainteté. Or, qui veut la fin, doit vouloir les moyens. Qui veut être saint doit aimer les moyens que l'Église, instrument universel du salut, offre aux hommes et leur apprend à utiliser : fréquentation des sacrements (confession régulière et eucharistie chaque dimanche), dialogue intime avec Dieu dans la prière personnelle, effort vigoureux pour remplir les obligations familiales, professionnelles et sociales.

    Jésus vient recevoir le Baptême de Jean et par là reconnaît en Jean une étape essentielle de l'histoire du salut, étape prévue par Dieu comme la préparation finale et immédiate de l'ère messianique. Le bon déroulement de chacune de ces étapes, ou actes, du plan divin peut être défini comme un acte de justice : Jésus, qui vient accomplir la volonté du Père (Jn 4, 34), est attentif à réaliser le plan du salut dans tous ses détails. Son baptême par Jean fait partie de ce programme qui le conduira jusqu'à la Croix, où "tout est accompli" (Jn 19, 30).

    La perspective du Jugement ne nous porte pas à fuir le présent, et pas davantage à ployer sous son aspect lugubre et menaçant. Elle nous met devant nos responsabilités dans la vie quotidienne. Quand cette perspective s'estompe, "la foi chrétienne est individualisée et elle est orientée surtout vers le salut personnel de l'âme" (n. 42), l'espérance disparaît et est remplacée par son ersatz : la quête du progrès, et le souci de faire la volonté du Père par la protestation contre les injustices du monde, et finalement une révolte contre "le bon Dieu", qui n'est pas si bon que ça, puisque s'il l'était, il ne permettrait pas toutes ces injustices.

    Ce qu'on oublie, c'est que Jésus n'est ni Spartacus, comme l'écrit Benoît XVI (n. 4), ni le Che (Guevara).
"Il n'était pas un combattant pour une libération politique, comme Barabbas ou Bar-Khoba" (ibid.). Il nous a apporté "quelque chose de totalement différent : la rencontre avec le Seigneur de tous les seigneurs, la rencontre avec le Dieu vivant, et ainsi la rencontre avec l'espérance qui était plus forte que les souffrances de l'esclavage et qui, de ce fait, transformait de l'intérieur la vie et le monde" (ibid.).

    Est-il besoin de rappeler que ceux qui veulent faire régner la justice à la place de Dieu, les révolutionnaires de hier comme ceux d'aujourd'hui, finissent toujours en dictateurs et des assassins ? Combien d'avortements au nom du pouvoir d'achat ou de la libération de la femme ?
Puisqu'il n'y a pas de Dieu qui crée une justice, il semble que l'homme lui-même soit maintenant appelé à établir la justice. Si face à la souffrance de ce monde la protestation contre Dieu est compréhensible, la prétention que l'humanité puisse et doive faire ce qu'aucun Dieu ne fait ni est en mesure de faire est présomptueuse et fondamentalement fausse. Que d'une telle prétention s'ensuivent les plus grandes cruautés et les plus grandes violations de la justice n'est pas un hasard, mais est fondé sur la fausseté intrinsèque de cette prétention. Un monde qui doit se créer de lui-même sa justice est un monde sans espérance. Personne ni rien ne répond pour la souffrance des siècles. Personne ni rien ne garantit que le cynisme du pouvoir – sous quelque habillage idéologique conquérant qu'il se présente – ne continuera à commander dans le monde. (n. 42)

    Jésus est beaucoup plus qu'un révolutionnaire qui dégénère en dictateur : il est le "Fils bien-aimé" investi de tous les pouvoirs pour se mettre au service de l'oeuvre du salut du Père qui dépasse notre entendement, mais que nous devons "lasser faire". Le laisser faire quoi ? Introduire la communauté des hommes dans une communion nouvelle avec Dieu, leur Père. C'est pour cela qu'il est investi de la force de l'Esprit Saint. Ce qui le caractérise n'est pas la rupture, mais l'accomplissement, c'est-à-dire, "conserver en transformant, perfectionner en sauvegardant" (A. Descamps). Sa politique d'ouverture ? Les "cieux ouverts" aux méchants comme aux bons, aux riches comme aux pauvres, aux patrons comme aux ouvriers. Quelle diversité ! Ses électeurs ? Un seul : le Père. Sa promesse électorale ? Non pas le pouvoir d'achat, mais le pouvoir de devenir enfants de Dieu : la vie éternelle. Son programme d'action ? Recréer l'homme esclave du péché à l'image et à la ressemblance de son Créateur. Son budget est largement déficitaire : renoncer à tout et se laisser immerger dans les eaux amères de la Passion. Son gouvernement ? Une douzaine d'ignorants. Sa côte de popularité ? ... Loin en-dessous des 50 %.

    Avouons-le d'emblée : comme Jean, nous ne comprenons pas, mais comme Jean, nous devons laisser faire :
Dieu existe et Dieu sait créer la justice d'une manière que nous ne sommes pas capables de concevoir et que, cependant, dans la foi nous pouvons pressentir. (...) Une justice existe. (n. 43)

    Nouvelle confidence de Benoît XVI :
Je suis convaincu que la question de la justice constitue l'argument essentiel, en tout cas l'argument le plus fort, en faveur de la foi dans la vie éternelle. (ibid.)

    Alors ? Le Jugement final est-il une image terrifiante ou une image d'espérance ?
Dieu est justice et crée la justice. C'est cela notre consolation et notre espérance. Mais dans sa justice il y a aussi en même temps la grâce. Nous le savons en tournant notre regard vers le Christ crucifié et ressuscité. Justice et grâce doivent toutes les deux être vues dans leur juste relation intérieure. La grâce n'exclut pas la justice. Elle ne change pas le tort en droit. Ce n'est pas une éponge qui efface tout, de sorte que tout ce qui s'est fait sur la terre finisse par avoir toujours la même valeur. (...) À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s'était passé. (n. 44)

    Attention, les "méchants", ce ne sont pas seulement ceux qui tuent. Ce sont le plus souvent ceux qui pèchent par omission. Le saint Curé d'Ars allait jusqu'à dire qu'il était certain que les parents dont les enfants vont en enfer par suite de leurs négligences dans l'éducation seront  eux-mêmes en enfer ! Dans l'évangile de Jésus, doux et humble de coeur, se trouve une parabole à  méditer :
Dans la parabole du riche bon vivant et du pauvre Lazare (cf. Lc 16, 19-31), Jésus nous a présenté en avertissement l'image d'une telle âme ravagée par l'arrogance et par l'opulence, qui a créé elle-même un fossé infranchissable entre elle et le pauvre ; le fossé de l'enfermement dans les plaisirs matériels ; le fossé de l'oubli de l'autre, de l'incapacité d’aimer, qui se transforme maintenant en une soif ardente et désormais irrémédiable. (ibid.)
    Pour la plupart des négligents, le bonheur promis aux assoiffés de justice reste pourtant accessible :
Nous devons relever ici que Jésus dans cette parabole ne parle pas du destin définitif après le Jugement universel, mais il reprend une conception qui se trouve, entre autre, dans le judaïsme ancien, à savoir la conception d'une condition intermédiaire entre mort et résurrection, un état dans lequel la sentence dernière manque encore. (ibid.)

    Ce qui ouvre des perspectives souvent oubliées pour l'espérance chrétienne :
Ainsi se rend évidente aussi la compénétration de la justice et de la grâce : notre façon de vivre n'est pas insignifiante, mais notre saleté ne nous tache pas éternellement, si du moins nous sommes demeurés tendus vers le Christ, vers la vérité et vers l'amour. (...) Le Jugement de Dieu est espérance, aussi bien parce qu'il est justice que parce qu'il est grâce. S'il était seulement grâce qui rend insignifiant tout ce qui est terrestre, Dieu resterait pour nous un débiteur de la réponse à la question concernant la justice – question décisive pour nous face à l'histoire et face à Dieu lui-même. S'il était pure justice, il ne pourrait être à la fin pour nous tous qu’un motif de peur. L'incarnation de Dieu dans le Christ a tellement lié l'une à l'autre – justice et grâce – que la justice est établie avec fermeté : nous attendons tous notre salut « dans la crainte de Dieu et en tremblant » (Ph 2, 12). Malgré cela, la grâce nous permet à tous d'espérer et d'aller pleins de confiance à la rencontre du Juge que nous connaissons comme notre « avocat » (parakletos) (cf. 1 Jn 2, 1). (n. 47)

    Loin de tout individualisme, l'espérance nous porte à intercéder :

À présent on pourrait enfin se demander : si le "purgatoire" consiste simplement à être purifié par le feu dans la rencontre avec le Seigneur, Juge et Sauveur, comment alors une tierce personne peut-elle intervenir, même si elle est particulièrement proche de l'autre ? Quand nous posons une telle question, nous devrions nous rendre compte qu'aucun homme n'est une monade fermée sur elle-même. Nos existences sont en profonde communion entre elles, elles sont reliées l'une à l'autre au moyen de multiples interactions. Nul ne vit seul. Nul ne pèche seul. Nul n'est sauvé seul. Continuellement la vie des autres entre dans ma vie : en ce que je pense, je dis, je fais, je réalise. Et vice-versa, ma vie entre dans celle des autres : dans le mal comme dans le bien. Ainsi mon intercession pour quelqu'un n'est pas du tout quelque chose qui lui est étranger, extérieur, pas même après la mort. (n. 48)

    En résumé, voici la règle d'or de l'espérance :
En tant que chrétiens nous ne devrions jamais nous demander seulement : comment puis-je me sauver moi-même ? Nous devrions aussi nous demander : que puis-je faire pour que les autres soient sauvés et que surgisse aussi pour les autres l'étoile de l'espérance ? Alors j'aurai fait le maximum pour mon salut personnel. (ibid.)
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