Un livre de Timothy Verdon commente les lectures de la messe par des chefs-d'œuvre de l'art chrétien. C'est une "prédication par l'image" qui a prospéré pendant des
siècles dans l'Eglise. Et à laquelle l'actuel pontificat veut redonner vie
par Sandro Magister
C’est dimanche prochain, fête du Christ-Roi, que se terminera l’année liturgique. Le dimanche suivant, le premier de l’Avent selon le rite romain, marquera le début de la nouvelle année, la première du cycle triennal des lectures de l’Ancien et du Nouveau Testament, qui met à l’honneur l’Evangile selon saint Mathieu.
Beaucoup de prêtres ont l’habitude de préparer leurs homélies à l’aide de livres commentant les lectures de la messe du jour. On trouve beaucoup de ces manuels dans le commerce, mais jadis, cela ne se passait pas comme cela.
Les évangéliaires et les épistolaires qui, à partir du VIe siècle, rassemblaient les lectures de la messe n’avaient pas besoin d’un commentaire supplémentaire, à part. Ils constituaient eux-mêmes des illustrations des pages des Ecritures Saintes, une aide visuelle permettant de mieux les comprendre.
Ces lectionnaires expliquaient les Écritures par des images intercalées entre les textes, comme par exemple les splendides miniatures qui figuraient sur les manuscrits du Moyen Age. C’étaient les images qui servaient de guide et de commentaire à un clergé et des fidèles déjà habitués à voir les épisodes et les personnages des Ecritures Saintes représentés sur les murs des églises.
Et voilà qu’en Italie, à la veille de ce premier dimanche de l’Avent, sort un livre qui renoue justement avec cette tradition. Il s’agit d’un commentaire du lectionnaire des messes pour les fêtes de l’année A – les volumes pour les années B et C suivront – à partir d’images de ce que l’art chrétien a produit de plus beau. Des images plus éloquentes que de longues explications.
Son auteur est Timothy Verdon, historien de l’art, prêtre, professeur à l’université de Stanford et directeur du service diocésain pour la catéchèse par l’art, à Florence. Il a aussi écrit des livres importants sur l’art chrétien et sur le rôle de l’art dans la vie de l’Eglise.
Il a eu l’idée de ce livre à l’occasion du synode des évêques de 2005 sur l’eucharistie, auquel il participait comme expert à la demande de Benoît XVI.
Le pape a consacré le paragraphe 41 de son exhortation post-synodale "Sacramentum Caritatis" à l’iconographie religieuse. Celle-ci – écrit Benoît XVI – "doit être orientée vers la mystagogie sacramentelle", vers l’initiation au mystère chrétien par la liturgie.
Dans son livre, Verdon applique précisément cette consigne. Pour chaque dimanche et chaque fête de l’année liturgique, il choisit un chef-d’œuvre de l’art chrétien lié à l’Evangile du jour. C’est l’art qui aide à entrer dans le mystère proclamé et célébré.
Pour présenter son livre au public – c’était à Florence, il y a quelques jours – Verdon a fait appel à un prêtre qui est en harmonie totale avec cette orientation: Massimo Naro, théologien, recteur du séminaire du diocèse de Caltanissetta et frère cadet de Cataldo Naro, l’évêque de Monreale, en Sicile, mort il y a un an à l’âge de 55 ans seulement.
La cathédrale de Monreale, dont l’intérieur est entièrement recouvert de mosaïques du XIIe siècle, est un chef-d‘œuvre absolu de l’art chrétien. Le Christ Pantocrator reproduit ci-dessus en domine l’abside.
Mais l’art chrétien vit dans et pour la liturgie. Et son langage est celui du regard, de la contemplation. C’est ce qu’avait compris le théologien italo-allemand Romano Guardini, qui a été un grand maître pour Benoît XVI, lorsqu’il avait visité la cathédrale de Monreale au cours de la semaine sainte de 1929.
Guardini a raconté sa visite. Ayant observé les hommes et les femmes qui emplissaient la cathédrale de Monreale et qui participaient à la liturgie pascale, il a écrit:
"Ils vivaient tous dans le regard [dans le texte original en allemand: Alle lebten im Blick], ils étaient tous tendus vers la contemplation".
Mgr Cataldo Naro avait reproduit intégralement la page de Guardini dans sa dernière lettre pastorale aux fidèles, pour les guider dans la contemplation et l’amour de l’Eglise.
Son frère Massimo a lui aussi cité cette page dans sa présentation du livre de Verdon au public. Et il a continué ainsi:
"On doit croire, confesser, professer, mais on doit aussi ‘regarder’ la foi. Jésus est celui qui a ‘vu et entendu’ son Père. En lui s’unissent la parole et l’image, il est le Logos et l’Eikon (cf. Colossiens 1,15). Ce n’est pas par hasard que s’est répandue dans l’Eglise antique, dès les IVe et Ve siècles, la légende selon laquelle l’évangéliste Luc était aussi un peintre. On peut rattacher à cette légende l’anathème du second concile de Nicée, selon lequel ‘si quelqu’un n’admet pas les récits des Evangiles faits à la manière d’un peintre, qu’il soit excommunié’. Peindre le visage du Christ, de Marie et des saints est une autre façon d’écrire l’Évangile, et par conséquent de le transmettre, de le proclamer, d‘en permettre la lecture et donc la méditation et la connaissance de la part des fidèles. À Nicée, en 787, le dogme incorpore la légende et lui donne sa dignité doctrinale. Il inclut dans le dépôt de la tradition non seulement la tradition écrite et orale, mais aussi la tradition illustrée, non seulement les écrits de l’Ancien et du Nouveau Testament et les livres des Pères de l’Eglise mais aussi les images qui traduisent en couleurs l’encre des auteurs sacrés".
Les œuvres d’art que Verdon a choisies pour illustrer les lectures de la messe pour l’année A sont présentes dans des églises et des musées du monde entier. Une bonne partie se trouve en Italie, dont certaines à Florence. Un curé florentin pourra donc très facilement utiliser ce commentaire.
Mais l’important, c’est la méthode, qui vaut pour tous. Le livre de Verdon forme à la lecture "artistique" des textes bibliques de la liturgie. Il restitue aux prêtres et aux fidèles les fruits d’une "prédication par les images" qui s’est développée dans l’Eglise pendant un millénaire et demi et qui risque aujourd’hui de dépérir.
L’art chrétien, la théologie et la liturgie sont en effet indissociables. De même que la résurrection et la croix sont à l’origine de la composition des Evangiles et du Nouveau Testament et que Pâques est à l’origine de toute l’année liturgique, de même Jésus ressuscité et crucifié est à l’origine de l’art chrétien.
Lors de sa présentation du livre de Verdon, Massimo Naro a affirmé que c’est en observant les mosaïques de la cathédrale de Monreale dont son frère a été l’évêque qu’il avait compris "que la résurrection constituait le point de départ de l’art chrétien". Il s’est expliqué en ces termes:
"J’en suis convaincu depuis que j’ai vu, au sommet de l’arc qui fait face à la grande demi-coupole de l’abside où l’on peut admirer le Christ Pantocrator, la représentation en mosaïque du Mandylion, placée en symétrie avec le visage du Pantocrator. On dirait que le splendide et glorieux Christ Pantocrator est le développement d’un ‘négatif’ du visage du Crucifié.
"Le Mandylion, selon d’anciennes légendes qui remontent aux VIIIe et IXe siècles, est un linge sur lequel s’est imprimé le visage de Jésus, ensanglanté par les coups qui lui étaient infligés pendant sa passion.
"Pour certains, le Mandylion est le linge que Véronique a passé sur le visage de Jésus alors qu’il marchait vers le Calvaire (cf. Luc 23, 27-28).
"Pour d’autres, il s’agit du suaire remarqué par Pierre au matin de Pâques dans le tombeau désormais vide (cf. Jean 20,7).
"Dans ce cas, il s’agirait d’une image de Jésus ‘non peinte de main d’homme’ mais due à l’intervention divine: l’empreinte, sur le suaire, du visage du Crucifié qui, dans la lumière pascale, se relève en tant que Ressuscité.
"Cette image de lumière est donc, selon la légende du Mandylion, la véritable icône du Christ, l’archétype de toute image et de toute production artistique chrétienne.
"Dans cette perspective, c’est la lumière de la résurrection qui permet de représenter le Crucifié du Golgotha et, en Lui, Dieu Lui-même. C’est seulement à la lumière de la résurrection que Celui qui a été violemment privé de toute apparence humaine reste pour toujours la vraie et unique image de Dieu.
"En ce sens, la résurrection est à l’origine de l’iconographie et de l’art chrétiens. Toute production iconographique spécifiquement chrétienne ne peut donc être dissociée de l’événement capital qui a transformé la création et racheté l’histoire".
Le récit complet de la visite de Romano Guardini à Monreale (Sicile) à Pâques en 1929 est disponible sur www.chiesa:
> “Settimana Santa a Monreale”, autore Romano Guardini (12.4.2006)
Le livre présenté dans cette page, dont des traductions dans d’autres langues sont prévues:
Timothy Verdon, "La bellezza nella parola. L'arte a commento delle letture festive. Anno A", Editions San Paolo, Cinisello Balsamo, 2007, pp. 378, 43 euros.
Un livre d’art est sorti en Italie presque au même moment. Il ne commente pas les lectures de la messe mais les articles du Credo. La préface est de Timothy Verdon et la postface de Ryszard Knapinski. L’auteur, Roberto Mastacchi, est enseignant à l’institut théologique "Veritatis Splendor" de Bologne et secrétaire du cardinal Giacomo Biffi:
Roberto Mastacchi, "Il Credo nell'arte cristiana italiana", Cantagalli, Siena, 2007, pp. 208, 23 euros.
Sur www.chiesa, de nombreux articles sont consacrés à l’art dans la vie de l’Eglise, avec de nombreuses références à l’œuvre de Timothy Verdon.
À propos des images contenues dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique à la demande de Joseph Ratzinger, en tant que cardinal puis en tant que pape:
> Le Catéchisme en images: une édition très spéciale du "Compendium" (12.3.2007)
> Un catechismo per la civiltà dell’immagine (5.7.2005)
À propos de deux millénaires d’art chrétien en Italie, réinterprétés dans le contexte de la liturgie:
> Un Américain à Florence réécrit l’art sacré italien (30.12.2006)
À propos de la basilique Saint-Pierre et de la Rome des papes:
> Le chiavi del perdono. L’amorevole potere del successore di Pietro (30.1.2006)
À propos de la "Dispute du Saint Sacrement" de Raphaël, emblème du synode des évêques sur l’eucharistie:
> C’è un padre sinodale in più: Raffaello (17.10.2005)
À propos des fresques de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine et de celles de Raphaël dans les Chambres du Vatican:
> Ciò che nel conclave è successo per davvero (2.5.2005)
Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.