"... Il est monté aux cieux d'où il viendra juger les vivants et les morts."
Le jugement du monde par Dieu est aussi une donnée essentielle de l'eschatologie biblique. Ce qui caractérise l'eschatologie du Nouveau Testament, c'est que ce pouvoir et cette tâche de juger, le Père l'a remis au Fils (Jn 5, 22) :
En effet, il a fixé le jour où il va juger la terre avec justice, par un homme qu’il a établi pour cela, quand il l’a accrédité auprès de tous en le ressuscitant d’entre les morts. (Ac 17, 31)
Le jugement est intimement lié à la résurrection1.
Du point de vue de la communauté (jugement général) il se présente comme un tri : parabole de l'ivraie (Mt 13, 24-30.36-43), parabole du filet (Mt 13, 46-50).
Mais ce jugement est souvent présenté, non comme un événement futur, mais bien comme actuel, comme s'exerçant dans le monde :
Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. (Jn 9, 39)
Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. (Jn 3, 19)
Jugement semble-t-il tout intérieur. Cette conception est plus particulièrement joannique, ce qui a fait dire à Loisy que le quatrième évangile substitue la mystique à l'eschatologie. On trouve pourtant dans saint Jean les éléments caractéristiques de l'eschatologie traditionnelle : la tribulation annonciatrice des temps messianiques, le dernier jour, la venue de Jésus2.Le jugement n'est pas pour lui quelque chose d'immanent seulement, mais un événement extérieur :
Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. (Jn 12, 31)
Voici comment l’amour atteint, chez nous, sa perfection : avoir de l’assurance au jour du jugement ; comme Jésus, en effet, nous ne manquons pas d’assurance en ce monde. (1 Jn 4, 17)
D'autre part, , cette conception d'un jugement immanent se trouve aussi , quoique moins marquée, en saint Paul :
Celui qui mange et qui boit mange et boit son propre jugement s’il ne discerne pas le corps du Seigneur. C’est pour cela qu’il y a chez vous beaucoup de malades et d’infirmes et qu’un certain nombre sont endormis dans la mort. (1 Co 11, 29-30)
Quant à l’hérétique, après un premier et un second avertissement, écarte-le, sachant qu’un tel homme est perverti et pécheur : il se condamne lui-même. (Tt 3, 10-11)
C’est pourquoi Dieu leur envoie une force d’égarement qui les fait croire au mensonge ; ainsi seront jugés tous ceux qui n’ont pas cru à la vérité, mais qui se sont complus dans le mal. (2 Th 2, 11-12)
De même l'épitre aux Hébreux :
Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ... elle juge des intentions et des pensées du cœur. (He 4, 12)
Il y a donc une sorte d'antinomie : d'un côté le jugement est présenté comme un événement futur, lié à la "Parousie" du Seigneur ; d'un autre côté il est donné comme une réalité présente et intérieure (même s'il se traduit par des châtiments extérieurs) liée à la seule présence du Seigneur dans le monde de l'incarnation.
La synthèse se trouve facilement dans la continuité entre les deux avènements du Seigneur. La parousie sera la manifestation éclatante de tout ce que le Seigneur a opéré par sa seule présence (cachée) et par son oeuvre rédemptrice. Le jugement universel, bien qu'il soit présenté souvent dans l'Écriture sous la forme d'une immense convocation au tribunal du Christ, avec un appareil judiciaire grandiose et une sentence publique, selon le genre littéraire bien connu des apocalypses, sera lui aussi intérieur : la seule présence du Christ glorieux au milieu des hommes ressuscités opérera la division entre les élus et les réprouvés, par l'évidence manifestée de la justice des uns, de l'indignité des autres.
1. Jn 5, 27-29.
2. Jn 6, 39, 40, 54 ; 11, 24 ; 16, 21-22.