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Publié par dominicanus

Il est entré en vigueur à Milan avec l'approbation du Vatican. Mais l'archevêque émérite de Bologne, milanais et grand expert de saint Ambroise, l'a trouvé plein d'extravagances et d'erreurs et veut que Rome le réexamine depuis le début


par Sandro Magister


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ROME, le 1 février 2010 – Depuis le début de cette année, la congrégation pour le culte divin, au Vatican, a une affaire brûlante à résoudre. Au risque d’être forcée à se contredire.

L’affaire concerne le nouveau lectionnaire de la messe de rite ambrosien, rite utilisé dans l'archidiocèse de Milan et certaines localités des diocèses limitrophes de Bergame, Novare, Lodi et Lugano, ce dernier se trouvant en Suisse italienne. L’ensemble représente près de 5 millions de baptisés.

L’affaire a été imposée à la congrégation du Vatican par un cardinal très compétent en la matière, Giacomo Biffi (photo). Milanais, théologien, éminent spécialiste de saint Ambroise et du rite qui en porte le nom, il a été co-auteur, dans les années 70, d’une première édition du lectionnaire ambrosien mise à jour d’après les indications du concile Vatican II.

Cette première édition, appréciée, est entrée en vigueur à Milan en 1976. Elle a été suivie en 2008 d’une seconde édition, élaborée par la "congrégation du rite ambrosien" locale et présentée en grande pompe comme "définitive" par le cardinal Dionigi Tettamanzi, actuel archevêque de Milan et donc "chef du rite".

Comme il se doit, cette seconde édition du lectionnaire ambrosien a été soumise, avant d’entrer en vigueur, à l'examen de la congrégation vaticane pour le culte divin, qui l'a approuvée en bloc avec une rapidité inhabituelle.

Cette congrégation avait comme préfet le cardinal Francis Arinze, aujourd’hui retraité, et comme secrétaire l'archevêque Albert Malcolm Ranjith Patabendige Don, actuellement à la tête du diocèse de Colombo, au Sri Lanka.

Mais quand le cardinal Biffi – qui vit à Bologne dont il a été archevêque de 1984 à 2003 – a vu ce nouveau lectionnaire entrer en vigueur dans sa ville de Milan, il a été stupéfait.

Et il a écrit d’un seul jet ce jugement lapidaire, plein d’ironie piquante, qu’il a inséré dans la dernière réimpression de son autobiographie :

"On y trouve de tout : des archéologismes vains et parfois trompeurs ; des initiatives aventureuses en matière de rites ; des perspectives théologiques peu fondées et équivoques ; des propositions pastorales dépourvues de bon sens et jusqu’à de curieuses bizarreries linguistiques.

"C’est une entreprise de grande ampleur, audacieuse, sans doute, et ambitieuse : plus audacieuse que sage, plus ambitieuse qu’éclairée.

"Elle restera longtemps vivante dans la mémoire ébahie de notre Église".

Mais Biffi ne s’est pas arrêté là. En décembre dernier, il a repris sa plume, résumé en huit chapitres ses "observations critiques sur le nouveau lectionnaire ambrosien" et transmis le tout à la congrégation vaticane pour le culte divin.

Celle-ci avait entre temps changé de dirigeants : le nouveau préfet est le cardinal Antonio Cañizares Llovera et le nouveau secrétaire l'archevêque Joseph Augustine Di Noia.

Les titres ci-dessous sont ceux que Biffi a placés au début de chacune de ses huit observations critiques.


1. LE "DÉRAILLEMENT"


La première critique a un caractère général. La logique aurait voulu, écrit Biffi, que le nouveau lectionnaire soit élaboré en application des "normes générales pour l'organisation de l'année liturgique" du missel en vigueur.

Et bien non. Ces normes n’ont pas été appliquées. Le nouveau lectionnaire "est sorti des rails" et a sa ligne propre, comme s’il visait à lancer "en douce" une réforme liturgique générale à son goût.


2. À PROPOS DE SAINT MARTIN


Pour commencer, le nouveau lectionnaire ambrosien donne au temps de l'Avent un second nom : "Carême de Saint Martin".

Biffi objecte qu’il s’agit d’un "archéologisme vain et trompeur". Vain parce que ce nom n’est plus utilisé depuis au moins mille ans ; trompeur parce qu’il incite à confondre l'Avent, qui est un "temps de joyeuse attente", avec le Carême qui a une toute autre signification, mais aussi avec un saint avec lequel il n’a rien à voir.

De plus, le nouveau lectionnaire reporte le début de l’Avent au premier dimanche après le 11 novembre (et non plus après le 12, comme dans la précédente édition). Résultat : dans certains cas, il peut arriver qu’il y ait sept dimanches avant Noël au lieu de six.

Les six dimanches de l'Avent sont une caractéristique qui distingue le rite ambrosien et divers rites orientaux du rite romain qui en compte quatre. Alors comment les rédacteurs du nouveau lectionnaire s’arrangent-ils avec le septième dimanche ?

"Ils n’ont rien trouvé de mieux – écrit Biffi – que d’inventer un 'dimanche d’avant Noël ne faisant pas partie de l’Avent', dont personne n’avait jamais entendu parler, ne serait-ce que parce que ce concept semble contradictoire : 'd’avant Noël' ne peut qu’être de 'préparation à Noël' et un dimanche de préparation à Noël, en substance, c’est un dimanche de l’Avent".


3. UNE PERSPECTIVE THÉOLOGIQUE DÉFECTUEUSE


Le nouveau lectionnaire découpe l'année liturgique en trois temps : de Noël, de Pâques, de la Pentecôte.

Biffi objecte que la Pentecôte n’a jamais été considérée par l’Église comme un "mystère à part", mais qu’elle est le cinquantième et dernier jour du temps pascal, dilaté sur sept semaines.

La liturgie romaine a donc raison d’appeler les dimanches suivants non pas "dimanches après la Pentecôte" mais simplement "dimanches du temps ordinaire" ou "per annum". Comme le faisait le précédent lectionnaire ambrosien.

Le nouveau lectionnaire, lui, en rétablissant l’expression "dimanches après la Pentecôte", "témoigne d’une faible connaissance de la théologie liturgique".


4. LES ARCHAÏSMES RÉCUPÉRÉS


Mais ce n’est pas tout. Après quatorze dimanches appelés "après la Pentecôte", le nouveau lectionnaire continue avec d’autres appellations curieuses, reprises du passé. Dans l’ordre : un dimanche "précédant le martyre de Jean-Baptiste" (29 août), sept dimanches "après le martyre de Jean-Baptiste" et trois dimanches "après la dédicace de la Cathédrale" (qui tombe le troisième dimanche d’octobre).

Dans le passé, ces appellations étaient de simples indications de calendrier. Le nouveau lectionnaire, lui, caractérise ces dimanches avant et après la fête de saint Jean-Baptiste par un cycle spécial de lectures bibliques. Ce qui crée, écrit Biffi, "un système confus sans aucun avantage pastoral".


5. LES MESSES AVEC DEUX LECTURES DE L’ÉVANGILE


Il y a aussi une nouveauté qui est pour Biffi "la plus aventureuse". Partant de l'idée que la messe est une évocation mystérique de la résurrection de Jésus, le nouveau lectionnaire introduit dans les messes dominicales anticipées célébrées la veille au soir – et seulement dans celles-là – la lecture d’un passage d’Évangile relatif à la résurrection, en plus de la lecture normale de l’Évangile du jour.

"C’est ainsi que l’on peut trouver à Milan, fait unique dans toute la chrétienté, des célébrations eucharistiques où sont lues deux pages différentes de l’Évangile".

Le passage supplémentaire de l’Évangile est lu au début de la messe, avant le Gloria. "Cela ne semble pas – commente Biffi – une belle trouvaille, esthétiquement et pédagogiquement".


6. UNE INCROYABLE ABERRATION


Un autre point sur lequel le nouveau lectionnaire ambrosien n’en fait qu’à sa tête concerne l'Ascension et la Fête-Dieu.

En vertu d’une ancienne tradition, ces fêtes tombent un jeudi. Mais depuis qu’en 1977 le gouvernement italien leur a retiré le caractère de fêtes civiles, la conférence des évêques d’Italie a ordonné de déplacer la célébration de l'Ascension et de la Fête-Dieu au dimanche suivant. C’est ce qu’ont institué les "Normes générales" du missel romain et du missel ambrosien actuellement en vigueur.

Mais le nouveau lectionnaire ambrosien "enfreint hardiment la norme", écrit Biffi. Il replace l'Ascension et la Fête-Dieu au jeudi non-férié. Et permet seulement qu’"à une ou plusieurs messes" du dimanche suivant, les prêtres, s’ils le souhaitent "pour des raisons pastorales", redisent la messe déjà célébrée trois jours plus tôt.

Et Biffi de commenter :

"On constate une fois encore que l’attachement irrationnel à des archaïsmes qui ont aujourd’hui perdu toute actualité empêche de prêter assez d’attention à la vie ecclésiale et aux suggestions d’un bon sens élémentaire.

"De plus je doute que cette initiative aventureuse soit canoniquement légitime. Il serait opportun que les organes compétents du Saint-Siège clarifient cette question".


7. LE CHOIX DES LECTURES


En ce qui concerne le choix des lectures aussi, le nouveau lectionnaire ambrosien s’éloigne du système du lectionnaire romain et même de sa propre édition précédente.

L’une des nouveautés est le recours fréquent à la "lectio continua" : par exemple, la lecture intégrale et continue des 18 premiers chapitres, difficiles, du prophète Ezéchiel pendant les quatre premières semaines de l’Avent.

Biffi objecte que la "lectio continua" peut convenir dans les monastères, mais pas pour les simples fidèles, auxquels l’Église a toujours préféré offrir des textes plus simples et compréhensibles, "plus utiles religieusement et moins problématiques".


8. LES BIZARRERIES LINGUISTIQUES


Enfin, Biffi attire l'attention sur deux autres trouvailles du nouveau lectionnaire.

La première se trouve dans le titre des lectures. Alors que, dans le lectionnaire romain et dans le précédent lectionnaire ambrosien, le titre indique, par exemple : "De l’Évangile selon Luc", signifiant qu’il s’agit d’un passage "tiré de" cet Évangile, le nouveau lectionnaire ambrosien dit : "Lecture de l’Évangile selon Luc".

Ce faisant, le nouveau lectionnaire, "entiché d’archaïsme", reproduit la formule latine : "Lectio sancti evangelii secundum Lucam". Mais, commente Biffi, il se heurte ainsi à un grave inconvénient : "pour une oreille moderne, l’expression paraît indiquer une lecture intégrale, alors qu’il ne s’agit que d’un passage".

La seconde trouvaille concerne la formule par laquelle commencent souvent les passages bibliques : "En ce temps-là...".

Dans le lectionnaire romain et dans le précédent lectionnaire ambrosien, cette formule se rattache directement au récit : "En ce temps-là, le Seigneur Jésus entra dans le temple...". Mais dans le nouveau lectionnaire ambrosien, la formule est interrompue par un point : "En ce temps-là. Le Seigneur Jésus entra dans le temple...".

Commentaire de Biffi :

"Je suppose que nulle part dans la production littéraire italienne on ne peut découvrir un complément de temps refermé sur lui-même, construit absolument, sans aucun lien avec le reste de la phrase. Nous aimerions savoir sur la base de quels raisonnements on est parvenu à la décision d’enrichir notre belle langue de cette trouvaille".

*

Au Vatican, la congrégation pour le culte divin a déjà examiné collégialement les observations critiques du cardinal Biffi et elle y reviendra prochainement.

Mais son embarras est évident. Si elle donne raison ne serait-ce qu’à une seule des observations de Biffi et impose des corrections au nouveau lectionnaire ambrosien, la congrégation se donnerait tort à elle-même, qui a approuvé précédemment ce lectionnaire dans tous ses éléments.

Il n’est pas exclu que le cardinal Cañizares Llovera, préfet de la congrégation, soumette en fin de compte à Benoît XVI sa proposition de solution à l’affaire et laisse le pape prendre la décision.

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Pour une analyse historico-liturgique du nouveau lectionnaire ambrosien, le livre suivant est incontournable. Son auteur est l’un des plus grands spécialistes du sujet et fait partie de la "Congrégation du rite ambrosien" qui a préparé le lectionnaire :

Cesare Alzati, "Il lezionario della Chiesa ambrosiana. La tradizione liturgica e il rinnovato 'ordo lectionum'", Libreria Editrice Vaticana – Centro Ambrosiano, Città del Vaticano – Milan, 2009, 510 pp., 29 euros.

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La "Congrégation du rite ambrosien" qui a élaboré le nouveau lectionnaire a comme pro-président l'archiprêtre de la cathédrale de Milan, monseigneur Luigi Manganini.

Dans cet article du 13 juin 2006, www.chiesa présentait les réalisations aventureuses introduites par monseigneur Manganini à la cathédrale de l'archidiocèse :

> Nel Duomo di Milano la Chiesa del futuro si sperimenta così

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A propos du cardinal Giacomo Biffi voir sur www.chiesa cet article, avec des extraits de son autobiographie :

> "Ce que j'ai dit au futur pape" avant le dernier conclave (26.10.2007)

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Traduction française par Charles de Pechpeyrou.
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