Parmi les cardinaux présents, il y aura entre autres Darío Castrillon Hoyos et Paolo Romeo, c’est-à-dire les deux prélats qui se sont trouvés, ces jours-ci, au cœur d’une affaire n’ayant rien d’élevé, née du compte-rendu anonyme d’un entretien entre Romeo et des interlocuteurs chinois, entretien dont ces derniers auraient retiré l’impression "qu’un attentat contre le Saint Père est programmé".
Le cardinal Castrillon Hoyos, entré au début du mois de janvier en possession de ce compte-rendu anonyme – rempli de considérations à propos des luttes pour le pouvoir au Vatican et de l'élection du futur pape – l’a remis au secrétaire d’état Tarcisio Bertone. Et, le 10 février, ce texte a été publié en totalité dans le journal "Il Fatto Quotidiano" :
> "Strettamente confidenziale per il Santo Padre"
On a du mal à imaginer que la "réflexion" à laquelle les cardinaux se livreront avec le pape puisse faire abstraction des contrecoups de ce document et d’autres, beaucoup plus fiables, qui ont filtré de manière imprévue jusqu’au monde extérieur et sont devenus publics ces jours derniers, jetant une lumière sinistre sur le gouvernement central de l’Église catholique.
De plus, mercredi prochain, jour qui marque le début du Carême dans le rite romain, Benoît XVI imposera les cendres à divers cardinaux résidant à Rome. Et, la semaine suivante, il prendra part avec les dirigeants de la curie à une retraite spirituelle prêchée par un cardinal que l’on aura opportunément fait venir de loin, du Congo, l'archevêque de Kinshasha, Laurent Monsengwo Pasinya.
Mais, lorsque l’on voit ce qui se passe au Vatican, il apparaît peu probable que ces exercices de piété soient suffisants pour purifier l’air malsain que l’on respire aujourd’hui à la curie.
Le 28 janvier dernier, une réunion des chefs de dicastère de la curie - ayant pour but d’étudier comment élaborer et publier les documents du Vatican en évitant les incidents qui en ont marqué l’histoire récente – s’était terminée sur une série de bonnes résolutions, y compris celle de mieux protéger le caractère secret des archives.
Or non seulement les fuites de documents ont recommencé à peine quelques jours plus tard, mais elles se sont multipliées à travers un grand nombre de canaux et avec les pires effets. Et rien ne permet de penser que cette hémorragie soit terminée.
***
Commentant ces fuites de documents et la vague de discrédit qu’elles entraînent pour le Vatican et pour l’Église, John L.
Allen, le plus important des vaticanistes américains, fait deux réflexions.
La première concerne l’affaire de Mgr Carlo Maria Viganò, le nonce aux États-Unis, dont ont été rendues publiques deux
lettres adressées au pape et au cardinal Bertone, pleines d’accusations contre divers responsables de la curie, accusations déclarées sans fondement par un communiqué du gouvernorat de la Cité du
Vatican:
> Wikileaks in Vaticano. La replica del
governatorato
Voici ce qu’écrit Allen :
"Certains cardinaux connaissent déjà de grosses difficultés chez eux et les intrigues actuelles au Vatican ne leur
rendent pas service. Timothy Dolan de New-York, par exemple, mène en ce moment contre l'administration Obama un combat qui est arrivé à son stade final, à propos des règles en matière
d’assurances [qui obligeraient les associations catholiques à payer pour leurs employés même les primes pour les contraceptifs et l’avortement]. Ce serait bien qu’il y ait à Washington un
ambassadeur pontifical faisant autorité et ayant de bons contacts pour aider à naviguer dans cette passe difficile, mais il est clair que ce n’est pas le cas".
La seconde réflexion concerne le fait que l'attention des médias se concentre uniquement sur les intrigues et pas sur des
événements d’Église qui ont lieu au même moment et qui sont beaucoup plus importants :
"La perception des intrigues a occulté ce qui aurait dû faire deux bonnes nouvelles pour le Vatican. La semaine dernière,
le Vatican a organisé un sommet consacré aux abus sexuels, lançant ainsi une réponse globale et préventive et s’engageant lui-même dans des réformes. D’autre part, les dirigeants du Vatican font,
précisément en ce moment, un très grand effort pour amener leurs institutions au niveau des standards internationaux en matière de transparence financière. Il est probable que, à aucun autre
moment de son histoire, le Vatican ne s’est autant employé à coopérer avec des organismes régulateurs laïcs, extérieurs. Dans un flux d’informations normal, des articles consacrés à ces faits
pourraient redonner une image positive du Vatican et de l’Église. Mais, à l’heure actuelle, ces articles sont en concurrence avec ceux qui parlent des scandales et, la plupart du temps, ils ont
le dessous".
Aux deux "bonnes nouvelles" rappelées par Allen, on pourrait en ajouter une troisième : l'événement international
consacré à "Jésus notre contemporain", organisé par la conférence des évêques d’Italie et conçu principalement par le cardinal Camillo Ruini :
> Jésus
notre contemporain
> Italia, terra di missione
Cet événement, qui a eu lieu à Rome du 9 au 11 février et dont l’un des temps forts a été une mémorable conférence du
théologien et évêque anglican Nicholas Thomas Wright consacrée à la résurrection de Jésus, s’est tenu devant 1 800 personnes très attentives, auxquelles il convient d’ajouter les milliers
d’autres qui l’ont suivi sur le web.
Mais c’est justement à ce moment-là qu’a éclaté l’affaire du présumé "complot criminel" contre le pape, ce qui a annulé
l'impact du colloque sur les médias.
*
Pour ce qui est de la première des deux "bonnes nouvelles" évoquées par Allen et occultées par les intrigues qui ont lieu
à la curie, www.chiesa en a parlé dans cet article :
> La première fois de
Marie Collins
Ce symposium international "Pour la guérison et le renouvellement", qui a eu lieu à l’Université Pontificale Grégorienne
et auquel ont participé de hautes autorités du Vatican ainsi que des représentants de 110 conférences épiscopales et de plus de 30 ordres religieux, a été la première grande initiative organisée
dans le monde catholique pour traiter à l’échelle mondiale et de manière coordonnée le phénomène des abus sexuels commis sur des mineurs, en donnant la priorité absolue à l’attention portée aux
victimes.
Il a également été la première initiative de grande ampleur organisée par l’Église catholique non pas en réaction
ultérieure et secondaire à la montée des critiques et du scandale, mais en tant qu’action préventive. Et au moment même où le colloque avait lieu, on inaugurait à Munich un centre de formation
internationale à la lutte contre les abus sexuels.
Tout cela se fait sous l’impulsion donnée par Benoît XVI depuis le début de son pontificat. Le résultat, c’est que
l’Église catholique – en dépit de ses fautes et omissions passées et présentes, qu’elle reconnaît – peut désormais être considérée comme l'institution la plus active du monde dans la lutte contre
ces crimes que sont les abus sexuels commis sur des mineurs, dans la "guérison" des blessures et dans le "renouvellement" des méthodes d’action, beaucoup plus active et cohérente que bien des
organismes internationaux, gouvernements, cours de justice, ou tribunaux médiatiques.
On peut ajouter à cela une autre nouvelle, qui est passée, elle aussi, au second plan. Aux États-Unis, l'action en
justice "John Doe 16 v. Holy See” s’est terminée par un non-lieu le 10 février, lendemain de la clôture du colloque organisé à l’Université Grégorienne. Cette action en justice visait à mettre
également en cause le Saint-Siège et le pape Benoît XVI lui-même pour les abus sexuels commis sur des mineurs par un prêtre du Wisconsin.
Le principal promoteur de cette action en justice, l'avocat Jeff Anderson, a déposé sa renonciation à poursuivre la
procédure afin d’éviter le danger d’un jugement défavorable de la cour de justice du Wisconsin, qui aurait compromis le succès d’actions en justice similaires engagées contre le Saint-Siège et
contre le pape devant d’autres tribunaux.
Une chronique détaillée de cette importante affaire judiciaire est donnée par ce reportage de Radio Vatican, avec une
déclaration de l'avocat du Saint-Siège aux États-Unis, Jeffrey Lena :
> Abusi su minori: archiviata
causa contro Santa Sede
***
En ce qui concerne la seconde "bonne nouvelle" évoquée par Allen et occultée par les intrigues, il faut signaler qu’il y
a dans les bureaux de la secrétairerie d’état, dans la Troisième Loge du Palais Apostolique, un tableau où est affiché, depuis le 26 janvier, un décret d’urgence apportant des modifications à la
loi 127 de l’État de la Cité du Vatican.
La loi 127, promulguée le 30 décembre 2010 et entrée en vigueur le 1er avril 2011, concerne la prévention et la lutte
contre le blanchiment des capitaux provenant d’activités criminelles et le financement du terrorisme :
> "Transparence, honnêteté et responsabilité"
En pratique, il s’agit de la loi la plus importante - mais ce n’est pas la seule - qui pourra permettre au Saint-Siège
d’être admis sur la "white list" des états ayant les standards de transparence financière les plus élevés du monde.
Cette démarche de nettoyage et de remise en ordre des finances du Vatican a également été - et est - fermement voulue par
Benoît XVI. Les indiscrétions qui ont filtré, au cours de ces dernières semaines, à propos des formes et des affaires d’irrégularités financières sont précisément ce que combat l'action
réformatrice qui est menée actuellement.
Les modifications apportées à la loi 127 par le décret d'urgence du 25 janvier sont également le résultat d’une
inspection qui a été effectuée au Vatican pendant cinq jours, au mois de novembre dernier, par une importante équipe d’inspecteurs de Moneyval, l'organisme du Conseil de l'Europe chargé de
l’évaluation des procédures de lutte contre le blanchiment d’argent sale qui sont en vigueur dans chaque pays.
Ces modifications n’ont pas encore été rendues publiques. Elles le seront lorsque le décret d’urgence où elles sont
indiquées aura été transformé en loi, dans un délai de 90 jours à partir de la date d'affichage, après examen par la Commission Pontificale pour l’État de la Cité du Vatican. Cette commission a
pour président le nouveau président du gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican, l'archevêque et prochainement cardinal Giuseppe Bertello, et l’un de ses membres est le cardinal Attilio
Nicora, président de l'Autorité d’Information Financière (AIF) également créée, le 30 décembre 2010, par un motu proprio de Benoît XVI.
L'AIF a – c’est une nouveauté sans précédent – des pouvoirs de contrôle sur chacune des opérations financières effectuées
par les dicastères de la curie romaine et par tous les organismes et entités dépendant du Saint-Siège, y compris l'Institut pour les Œuvres de Religion (IOR), le gouvernorat et la secrétairerie
d’état elle-même.
Il se dit déjà, par exemple, que, parmi les modifications apportées à la loi 127, il y a des sanctions plus lourdes pour
ceux qui se rendent coupables de transgressions. L'AIF peut punir chaque irrégularité financière commise par un organisme du Vatican d’une amende pouvant s’élever jusqu’à 2 millions
d’euros.
Quelques-unes des modifications apportées à la loi 127 ont été présentées en avant-première par le vaticaniste Andrea
Gagliarducci dans cet article publié sur Korazym.org le 1er février :
> Il
Vaticano migliora la legge antiriciclaggio
Par ailleurs leur signification générale a été expliquée par le ministre des affaires étrangères du Vatican, l'archevêque
Dominique Mamberti, dans "L'Osservatore Romano" du 27 janvier.
D’autres modifications ayant pour objectif de rendre les lois du Vatican encore plus rigoureuses et contraignantes ont
aussi été mentionnées de manière anticipée dans les réponses apportées par le Vatican aux accusations lancées ces jours derniers par les médias sur la base de documents qu’ils avaient pu se
procurer :
> Riciclaggio di denari? No, di accuse, dicono in
Vaticano
Par exemple, dans l’une de ces réponses, celle du 9 février, on peut lire que "l’article 28, alinéa 1, lettre b), du
nouveau texte de la loi 127, modifié par décret du président du gouvernorat le 26 janvier 2012, établit que ceux qui sont soumis aux obligations de cette même loi (parmi lesquels l’IOR) doivent
remplir 'les obligations de vérification adéquate… lorsqu’ils effectuent des transactions occasionnelles dont le montant est égal ou supérieur à 15 000 euros, indépendamment du fait qu’elles
soient effectuées en une seule transaction ou en plusieurs transactions liées'".
Même lorsque l’IOR opère sur des banques étrangères – principalement allemandes, comme on l’a accusé de le faire "pour
échapper aux contrôles de l'Italie" – il a été réaffirmé que "tous les mouvements de capitaux sont régulièrement contrôlés et archivés".
Enfin, en ce qui concerne les transactions financières suspectes antérieures au 1er avril 2011, date de l'entrée en
vigueur de la loi 127, il a été assuré que "l’autorité judiciaire du Vatican a également le pouvoir d’enquêter [à leur sujet], et cela y compris dans le cadre de la coopération internationale
avec la Justice d’autres états, Italie incluse".
En somme, Allen a raison lorsqu’il écrit que, en matière financière, "il est probable que, à aucun autre moment de son
histoire, le Vatican ne s’est autant employé à coopérer avec des organismes régulateurs laïcs, extérieurs".
Voilà pour ce qui concerne les "bonnes nouvelles".
En ce qui concerne les mauvaises, qui occultent non seulement les bonnes mais même le côté lumineux de ce pontificat, on
lira utilement l'interview accordée par le cardinal Walter Kasper à Gian Guido Vecchi et publiée dans le "Corriere della Sera" du 13 février 2012 :
> Kasper: "C'è uno stile cattivo nella curia"
Dans cette interview, Kasper déclare notamment :
"C’est un problème de manque d’ecclésialité. Ceux qui se prêtent à ces activités manquent de loyauté envers l’Église. Ils
créent de la confusion dans le peuple chrétien. Et cela alors même qu’il y a un pape qui travaille au renouvellement de l’Église : lui qui, quand il a constaté des abus, a voulu y mettre bon
ordre".
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> Focus VATICAN
Traduction française par Charles de Pechpeyrou.