Au cours de la veillée pascale, samedi soir, Benoît XVI a affirmé avec force que l'homme n'est pas un produit accidentel de l'évolution ; la Raison divine est au commencement.
Entouré de trente concélébrants, le Pape a présidé la liturgie solennelle de la Veillée pascale, en la basilique Saint-Pierre, ce 23 avril, une célébration riche en symboles, rythmée par la
bénédiction du feu, la procession, la liturgie de la parole, le rite baptismal et la liturgie eucharistique.
Dans son homélie, le Pape a commenté le récit de la Création. Ce récit – a-t-il expliqué - n’est pas une information sur le déroulement extérieur du devenir du cosmos et de l’homme ; une
narration sur le déroulement des origines des choses, mais un renvoi à l’essentiel, au vrai principe et à la fin de notre être. Omettre la création signifierait se méprendre sur l’histoire même
de Dieu avec les hommes. Le récit de la création nous dit qu’à l’origine, il n’y a pas l’irrationalité et le hasard, mais la raison et la liberté. Il n’est pas exact que dans l’univers en
expansion, à la fin, dans un petit coin quelconque du cosmos se forma aussi, par hasard, une certaine espèce d’être vivant, capable de raisonner et de tenter de trouver dans la création une
raison ou de l’avoir en elle. Si l’homme était seulement un tel produit accidentel de l’évolution, alors sa vie serait privée de sens ou même un trouble de la nature. Non, au contraire : la
raison est au commencement, la Raison créatrice, divine. Et puisqu’elle est Raison, elle a créé aussi la liberté ; et puisqu’on peut faire de la liberté un usage indu, il existe aussi ce qui est
contraire à la création. Mais la création comme telle demeure bonne, la vie demeure bonne, parce qu’à l’origine il y a la Raison bonne, l’amour créateur de Dieu. C’est pourquoi le monde peut être
sauvé. L’alliance, la communion entre Dieu et l’homme, est prévue au plus profond de la création. Grâce au Ressuscité, il s’avère de façon définitive que la raison est plus forte que
l’irrationalité, la vérité plus forte que le mensonge, l’amour plus fort que la mort.
Pendant la célébration, Benoît XVI a administré les sacrements de l’initiation chrétienne à six catéchumènes dont une chinoise.
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Traduction intégrale de l'homélie du Saint-Père
Samedi Saint, Veillée pascale
Chers frères et sœurs !
Deux grands signes caractérisent la célébration liturgique de la Veillée Pascale. Il y a d’abord le feu qui devient lumière. La lumière du cierge pascal, qui au cours de la procession à travers
l’église enveloppée dans l’obscurité de la nuit devient une vague de lumières et nous parle du Christ comme véritable étoile du matin, qui ne se couche pas éternellement ̶ du Ressuscité en qui la
lumière a vaincu les ténèbres. Le deuxième signe est l’eau. Elle rappelle, d’une part les eaux de la Mer Rouge, l’effondrement et la mort, le mystère de la croix. Ensuite cependant, elle se
présente à nous comme une eau de source, comme un élément qui apporte la vie dans la sécheresse. Elle devient ainsi l’image du Sacrement du Baptême, qui nous rend participants de la mort et de la
résurrection de Jésus Christ.
Toutefois, les grands signes de la création, la lumière et l’eau ne sont pas les seuls à faire partie de la liturgie de la Veillée Pascale. Une caractéristique absolument essentielle de la
Veillée, c’est aussi le fait qu’elle nous conduit à une importante rencontre avec la parole de la Sainte Ecriture. Avant la réforme liturgique il y avait douze lectures de l’Ancien Testament et
deux du Nouveau Testament. Celles du Nouveau Testament sont restées. Le nombre des lectures de l’Ancien Testament a été fixé à sept, mais, selon les situations locales, il peut aussi être réduit
à trois lectures. À travers une grande vision panoramique, l’Eglise veut nous conduire, tout au long du chemin de l’histoire du salut, depuis la création, à travers l’élection et la libération
d’Israël, jusqu’aux témoignages prophétiques, grâce auxquels toute cette histoire se dirige toujours plus clairement vers Jésus Christ. Dans la tradition liturgique toutes ces lectures ont été
appelées prophéties. Même quand elles ne sont pas directement des annonces d’évènements futurs, elles ont un caractère prophétique, elles nous montrent le fondement profond et l’orientation de
l’histoire. Elles font en sorte que la création et l’histoire laissent transparaître l’essentiel. Ainsi, elles nous prennent par la main et nous conduisent vers le Christ, elles nous montrent la
vraie lumière.
Le cheminement sur les routes de la Sainte Ecriture commence, durant la Veillée Pascale, par le récit de la création. La liturgie veut nous dire par là que le récit de la création est aussi une
prophétie. Il n’est pas une information sur le déroulement extérieur du devenir du cosmos et de l’homme. Les Pères de l’Eglise en étaient bien conscients. Ils n’ont pas compris ce récit comme une
narration sur le déroulement des origines des choses, mais comme un renvoi à l’essentiel, au vrai principe et à la fin de notre être. Or, nous pouvons donc nous demander : mais est-il vraiment
important durant la Veillée Pascale de parler aussi de la création ? Ne pourrait-on pas commencer par les évènements au cours desquels Dieu appelle l’homme, se constitue un peuple et crée son
histoire avec les hommes sur la terre ? La réponse doit être : non. Omettre la création signifierait se méprendre sur l’histoire même de Dieu avec les hommes, la réduire, ne plus voir son
véritable ordre de grandeur. Le rayon de l’histoire que Dieu a fondé parvient jusqu’aux origines, jusqu’à la création. Notre profession de foi commence par les paroles : « Je crois en Dieu, le
Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre ». Si nous omettons ce commencement du Credo, l’histoire du salut tout entière devient trop réduite et trop petite. L’Eglise n’est pas une
association quelconque qui s’occupe des besoins religieux des hommes, et qui a justement le but limité de cette association. Non, elle met l’homme en contact avec Dieu et donc avec le principe de
toute chose. C’est pourquoi Dieu nous concerne comme Créateur et c’est pour cela que nous avons une responsabilité envers la création. Notre responsabilité s’étend jusqu’à la création, parce
qu’elle provient du Créateur. C’est seulement parce que Dieu a tout créé qu’il peut nous donner vie et conduire notre vie. La vie dans la foi de l’Eglise n’embrasse pas seulement un domaine de
sensations et de sentiments et peut-être d’obligations morales. Elle embrasse l’homme dans sa totalité, depuis ses origines et dans la perspective de l’éternité. C’est seulement parce que la
création appartient à Dieu que nous pouvons nous fier à lui jusqu’au bout. Et c’est seulement parce qu’il est Créateur qu’il peut nous donner la vie pour l’éternité. La joie pour la création, la
gratitude pour la création et la responsabilité à son égard sont inséparables.
Le message central du récit de la création se laisse déterminer encore plus précisément. Dans les premières paroles de son Evangile, saint Jean a résumé la signification essentielle de ce récit
en cette unique phrase : « Au commencement était le Verbe ». En effet, le récit de la création que nous venons d’écouter est caractérisé par la phrase qui revient régulièrement : « Dieu dit… ».
Le monde est un produit de la Parole, du Logos, comme l’exprime Jean avec un terme central de la langue grecque. « Logos » signifie « raison », « sens », « parole ». Il ne signifie pas seulement
« raison », mais Raison créatrice qui parle et qui se communique elle-même. C’est une Raison qui est sens et qui crée elle-même du sens. Le récit de la création nous dit, donc, que le monde est
un produit de la Raison créatrice. Et ainsi il nous dit qu’à l’origine de toutes choses il n’y avait pas ce qui est sans raison, sans liberté, mais que le principe de toutes choses est la Raison
créatrice, est l’amour, est la liberté. Ici nous nous trouvons face à l’alternative ultime qui est en jeu dans le débat entre foi et incrédulité : l’irrationalité, le manque de liberté et le
hasard sont-ils le principe de tout, ou bien la raison, la liberté, l’amour sont-ils le principe de l’être ? Le primat revient-il à l’irrationalité ou à la raison ? C’est là la question en
dernière analyse. Comme croyants nous répondons par le récit de la création et avec Jean : à l’origine, il y a la raison. A l’origine il y a la liberté. C’est pourquoi être une personne humaine
est une bonne chose. Il n’est pas exact que dans l’univers en expansion, à la fin, dans un petit coin quelconque du cosmos se forma aussi, par hasard, une certaine espèce d’être vivant, capable
de raisonner et de tenter de trouver dans la création une raison ou de l’avoir en elle. Si l’homme était seulement un tel produit accidentel de l’évolution en quelque lieu à la marge de
l’univers, alors sa vie serait privée de sens ou même un trouble de la nature. Non, au contraire : la raison est au commencement, la Raison créatrice, divine. Et puisqu’elle est Raison, elle a
créé aussi la liberté ; et puisqu’on peut faire de la liberté un usage indu, il existe aussi ce qui est contraire à la création. C’est pourquoi une épaisse ligne obscure s’étend, pour ainsi dire,
à travers la structure de l’univers et à travers la nature de l’homme. Mais malgré cette contradiction, la création comme telle demeure bonne, la vie demeure bonne, parce qu’à l’origine il y a la
Raison bonne, l’amour créateur de Dieu. C’est pourquoi le monde peut être sauvé. C’est pour cela que nous pouvons et nous devons nous mettre du côté de la raison, de la liberté et de l’amour ̶ du
côté de Dieu qui nous aime tellement qu’il a souffert pour nous, afin que de sa mort puisse surgir une vie nouvelle, définitive, guérie.
Le récit vétérotestamentaire de la création, que nous avons entendu, indique clairement cet ordre des réalités. Cependant il nous fait faire encore un pas en avant. Il a structuré le processus de
la création dans le cadre d’une semaine qui va vers le samedi, y trouvant son achèvement. Pour Israël, le samedi était le jour où tous pouvaient participer au repos de Dieu, où homme et animal,
maître et esclave, grands et petits étaient unis dans la liberté de Dieu. Ainsi le samedi était une expression de l’alliance entre Dieu et l’homme et la création. De cette façon, la communion
entre Dieu et l’homme n’apparaît pas comme quelque chose de rajouté, instauré par la suite dans un monde dont la création était déjà terminée. L’alliance, la communion entre Dieu et l’homme, est
prévue au plus profond de la création. Oui, l’alliance est la raison intrinsèque de la création comme la création est le présupposé extérieur de l’alliance. Dieu a fait le monde pour qu’il y ait
un lieu où il puisse communiquer son amour et d’où la réponse d’amour lui retourne. Devant Dieu, le cœur de l’homme qui lui répond est plus grand et plus important que l’immense cosmos matériel
tout entier qui, certainement, nous laisse entrevoir quelque chose de la grandeur de Dieu.
A Pâques et à la suite de l’expérience pascale des chrétiens, nous devons cependant faire encore un autre pas. Le samedi est le septième jour de la semaine. Après six jours, où l’homme participe,
en un certain sens, au travail de la création de Dieu, le samedi est le jour du repos. Mais dans l’Eglise naissante, quelque chose d’inouï s’est produit : à la place du samedi, du septième jour,
vient le premier jour. Comme jour de l’assemblée liturgique, il est le jour de la rencontre avec Dieu par Jésus Christ qui, le premier jour, le dimanche, a rencontré les siens en tant que
Ressuscité, après que ceux-ci eurent trouvé le tombeau vide. La structure de la semaine est maintenant renversée. Elle n’est plus dirigée vers le septième jour, pour y participer au repos de
Dieu. Elle commence par le premier jour comme jour de la rencontre avec le Ressuscité. Cette rencontre se renouvelle sans cesse dans la célébration de l’Eucharistie, où le Seigneur vient de
nouveau au milieu des siens et se donne à eux, se laisse, pour ainsi dire, toucher par eux, se met à table avec eux. Ce changement est un fait extraordinaire, si on considère que le samedi, le
septième jour comme jour de la rencontre avec Dieu, est profondément enraciné dans l’Ancien Testament. Si nous nous rappelons que le parcours depuis le travail jusqu’au jour du repos correspond
aussi à une logique naturelle, le caractère dramatique de ce tournant devient encore plus évident. Ce processus révolutionnaire, qui s’est vérifié tout de suite au début du développement de
l’Eglise, n’est explicable que par le fait qu’en ce jour quelque chose d’inouï était arrivé. Le premier jour de la semaine était le troisième jour après la mort de Jésus. C’était le jour où il
s’était montré aux siens comme le Ressuscité. Cette rencontre, en effet, avait en soi quelque chose de bouleversant. Le monde était changé. Celui qui était mort vivait d’une vie qui n’était plus
menacée d’aucune mort. Une nouvelle forme de vie, une nouvelle dimension de la création, avait été inaugurée. Le premier jour, selon le récit de la Genèse, est le jour où commence la création. À
présent il était devenu d’une façon nouvelle le jour de la création, il était devenu le jour de la nouvelle création. Nous célébrons le premier jour. Ainsi nous célébrons Dieu, le Créateur, et sa
création. Oui, je crois en Dieu, Créateur du ciel et de la terre. Et nous célébrons le Dieu qui s’est fait homme, a souffert, est mort et a été enseveli et est ressuscité. Nous célébrons la
victoire définitive du Créateur et de sa création. Nous célébrons ce jour comme origine et, en même temps, comme but de notre vie. Nous le célébrons parce qu’à présent, grâce au Ressuscité, il
s’avère de façon définitive que la raison est plus forte que l’irrationnalité, la vérité plus forte que le mensonge, l’amour plus fort que la mort. Nous célébrons le premier jour parce que nous
savons que la ligne obscure qui traverse la création ne demeure pas pour toujours. Nous le célébrons, parce que nous savons que maintenant ce qui est dit à la fin du récit de la création est
valable définitivement : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : c’était très bon » (Gn 1, 31). Amen.