Si l’on s’en tient à une interprétation rigoriste et formelle des principes humains et moraux considérés comme non négociables, les catholiques sont en situation de ne pouvoir voter pour aucun de ces candidats.
Les exigences éthiques de l’électeur
L'hebdomadaire Famille chrétienne aborde cette épineuse question dans un entretien avec le Père Jean-Miguel Garrigues qui vient de paraître (24 février). Pour le théologien, qui développera sa pensée dans nos colonnes prochainement, les catholiques risquent de se trouver au second tour devant des exigences éthiques aux conséquences redoutables :
Pour éclairer le jugement des catholiques confrontés à cet « exercice périlleux », la Fondation de service politique va publier un Guide de l’électeur chrétien dans le prochain numéro de Liberté politique. Ce Guide sera lui-même complété par un livre de Thierry Boutet sur l’Engagement des chrétiens en politique (Ed. Privat) rédigé à partir d’une enquête menée auprès de 60.000 correspondants de la Fondation, et qui a donné lieu à près de 9.000 réponses détaillées. Le fil directeur de ces documents, à paraître mi-mars, repose sur la Note Ratzinger consacrée à l’engagement politique des catholiques, d’où se dégagent deux axes forts :
1/ Les catholiques ne peuvent pas se désengager de l’action politique même si leur poids et les circonstances rendent cet engagement « périlleux » du point de vue éthique. C’est un enseignement constant de l’Église, spécialement depuis le concile Vatican II.
2/ Cet engagement les oblige à exercer leur jugement de prudence dans un contexte totalement inédit et les place de plus en plus en situation d’objection de conscience, dans la continuité de l’enseignement de Jean Paul II (Christifideles laici, Evangelium vitæ et Veritatis splendor).
Voici ce qu’écrivait le cardinal Ratzinger en 2002 :
Il n’est donc pas possible pour un chrétien, notamment à un parlementaire, de donner son assentiment à une loi ou un programme qui transgresse un principe éthique non négociable, sauf dans deux cas :
1/ si la mesure proposée réduit le champ d’application de cette transgression,
2/ si lui-même est connu dans son opposition à cette transgression et fermement engagé dans une démarche qui tend à la faire cesser. Exemple, il lui serait possible d’acquiescer à une mesure, qui sans abroger la loi sur l’avortement, prendrait des dispositions pour informer les femmes sur son danger ou leur proposer une alternative.
Voici, en effet ce qu’écrit encore la Note Ratzinger :
La Note considère le cas de l’élu en situation de voter une loi. Mais qu’en est-il d’un citoyen appelé à voter pour un candidat qui soutient un programme contenant des éléments contraire aux droits de l’homme ? Doit-il se replier dans une abstention, quelle qu’en soit la motivation, qui l’exilerait à l’intérieur de sa propre société ? Non sans aucun doute, en raison du devoir qui est le sien et auquel il ne peut renoncer, devoir qui l’oblige à exercer son jugement de prudence autant qu’il exerce son jugement de conscience.
Exil intérieur ou résolution à l’action ?
Alors ? Dans un memorandum aux évêques américains portant sur les conditions exigées pour recevoir la communion, le cardinal répond :
Quelles sont alors les « raisons proportionnées » qui permettent de voter pour tel ou tel candidat ?
Si l’on suit ces deux textes, la Fondation de service politique soutient qu'il est possible de voter pour un candidat ou un programme qui comporte des points contraires à l’enseignement de l’Église, mais à deux conditions, et deux conditions infrangibles :
1/Si et seulement si ce programme est moins mauvais que les autres, ou plus exactement meilleur que les autres au regard du bien commun de la société tout entière ;
2/ et si et seulement si l’électeur s’engage lui-même pour que la ou les mesures contraires à la loi naturelle soit un jour ou l’autre interdite.
Dans cette perspective, on comprend que le bulletin de vote ne peut pas être le seul acte politique du citoyen adulte. Il ne prend son sens que s’il s’inscrit dans une volonté d’agir répondant à la totalité de sa responsabilité de chrétien dans la cité. Le choix du « moindre mal », ou plutôt du « meilleur bien possible » selon l’heureuse expression du Père Jean-Miguel Garrigues, dans le soutien d’un candidat ou d’un programme qui transgresse un droit fondamental, n’est acceptable, en prudence, que si par son action sociale, culturelle ou politique l’électeur s’engage lui même dans un combat résolu, public et missionnaire pour la culture de vie.
Si le vote ne s’accompagne pas d’une résolution à soutenir tout moyen d’exprimer son objection de conscience, il perd non seulement son efficacité politique, mais aussi sa pertinence morale puisqu’il deviendrait une sorte de renoncement. Au final, c’est cette résolution à assumer toute sa responsabilité qui donnera au chrétien l’intelligence morale de la situation au moment du vote.
La Note Ratzinger, elle même nous rappelle en effet, que
Dans les conditions politiques qui sont aujourd’hui les nôtres, cela signifie que quel que soit le pluralisme de nos options temporelles, nous ne pouvons, comme chrétiens, nous abstenir de cet engagement en faveur du respect de la dignité de la personne et du bien commun. C’est le message central que Fondation de service politique entend porter durant cette campagne électorale, et donc au-delà des prochains scrutins, présidentiel et législatifs. Il justifie son existence et explique le soutien que de plus en plus de catholiques lui apportent.
Dans le cadre de cet engagement résolu, le vote de conscience est un acte politique qui s’inscrit dans un engagement global au service de la culture de vie et du respect de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Thierry Boutet