Jeanne n'en peut plus. Elle est déjà tombée malade, d'épuisement, de peur, de désespoir, d'empoisonnement, qui sait ? Les Anglais l'ont soignée, en lui dépêchant le propre médecin de la duchesse de Bedford : dans leur intérêt, il faut que le procès aille à sa fin et qu'elle soit condamnée pour déconsidérer le roi de France. À cette occasion, on a tenté de profiter de sa faiblesse pour obtenir sa soumission à cette "Église militante" dont parlent les juges. En vain : elle est soumise à Dieu, c'est-à-dire à l'Église éternelle et non à celle des messires Cauchon et Beaupère. D'ailleurs, plus le procès avance et plus Jeanne sent que Mgr l'évêque de Beauvais n'agit pas en prêtre. Ce n'est pas un disciple du Christ qui l'interroge mais un dignitaire au service d'une puissance militaire, hostile au roi de France. La preuve ? Quand monseigneur lui demande de réciter un Pater ou un Ave Maria pour contrôler son instruction, elle lui répond : "Volontiers pourvu que vous m'entendiez en confession", et ce trait remplit de rage l'évêque, parce qu'il lui remet à l'esprit son état sacerdotal. S'il l'entend en confession, il ne pourra plus la faire condamner. Et peut-il se soustraire à cette requête ? Alors il change de sujet : "Receviez-vous les sacrements en habit d'homme ?" ou encore : "Croyez-vous que vous n'êtes pas soumise à l'Église de Dieu qui est sur la terre ?" Elle répond : "Messire Dieu premier servi", comme elle l'a si souvent entendu de la bouche des prédicateurs de sa paroisse. Quand on lui demande de se soumettre au pape, elle y consent sans tergiverser : "Menez-moi à lui et je lui répondrai." Elle voudrait compraître devant le Vicaire du Christ, à Rome, ne serait-ce que pour quitter Rouen et échapper à sa sinistre suite de soldats et de juges. (à suivre)
Le Livre des Merveilles, Mame-Plon, 1999