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Publié par Walter Covens

Eucharistie ou fast food ? - Homélie pour la Fête-Dieu B

 

Pour bien comprendre le sens de la solennité que nous célébrons aujourd'hui, commençons par un peu d'histoire. Elle a été instituée en 1264 par le pape Urbain IV. L'année précédente avait eu lieu un événement qui avait fait grand bruit. Un miracle était survenu dans la basilique Sainte-Christine de Bolsena, au nord de Rome et au sud d'Orvieto. Un prêtre de Bohème, Pierre de Prague, qui venait d'accomplir un long et difficile pèlerinage, priait sur la tombe de sainte Christine. Il passait par une crise spirituelle profonde et demandait à la sainte d'intercéder pour que sa foi se fortifie et soit libérée des doutes qui le tourmentaient, en particulier à propos de la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Et voilà que, juste après avoir prononcé les paroles de la consécration au cours d'une messe célébrée en présence de nombreux fidèles, le prêtre vit l'hostie qu'il tenait au-dessus du calice prendre une couleur rosée. Des gouttes de sang tombèrent sur le corporal et sur le pavement. Le prêtre bouleversé interrompit la messe pour porter les saintes espèces à la sacristie. Le pape Urbain IV fut immédiatement informé de l'événement. Il vint constater lui-même ce qui était survenu. Une année plus tard, Urbain IV institua la fête du Corpus Domini (bulle Transiturus de hoc mundo) et confia alors à St Thomas d'Aquin la rédaction de textes liturgiques pour cette solennité qu'il fixait au jeudi après l'octave de la Pentecôte. La fête fut ensuite confirmée par le pape Clément V en 1314.

 

Or, avant de devenir pape, Urbain IV avait été, en Belgique, le confesseur de sainte Julienne de Mont Cornillon. C'est à elle que revient le mérite d'avoir demandé au pape l'institution de cette fête. Orpheline, elle avait été recueillie à l'âge de cinq ans, avec sa soeur Agnès, d'un an son aînée, par les Soeurs Augustines du Mont-Cornillon, près de Liège. Comme les religieuses soignaient les lépreux, les deux soeurs vécurent d'abord en retrait, à la ferme. Mais à quatorze ans, Julienne fut admise parmi les religieuses.

 

Ste Julienne avait appris à lire les psaumes et à les retenir par coeur. D'une intelligence hors du commun, elle avait lu toute l'Écriture Sainte (en latin et en français), ensuite les livres de S. Augustin, puis les écrits de S. Bernard, dont elle connaissait par coeur plus de vingt sermons sur le Cantique des Cantiques. Très tôt, elle avait un goût profond pour la prière. Dès sa jeunesse, elle avait eu des visions dont elle n'a pas parlé pendant vingt ans. Elle avait vu, notamment, la lune avec une fraction manquante. Dans la prière, elle avait compris que le Seigneur lui signifiait par là qu'il manquait à l'Église une fête en l'honneur du Sacrement du Corps et du Sang du Christ.

 

Devenue prieure, Julienne se heurtait à de cruelles incompréhensions : on la traitait de fausse visionnaire. À cause de ces visions, et aussi de la rigueur avec laquelle elle voulait vivre la règle augustinienne, elle fut chassée deux fois de son monastère. La première fois, l'évêque la rappela. La seconde, en 1248, elle se réfugia dans la région de Namur, auprès d'un monastère cistercien, avant d'embrasser la vie d'ermite recluse, à Fosses. L'abbaye cistercienne de Villlers, entre Bruxelles et Namur, lui offrit une sépulture.

 

Cependant, relayés par Ève de Liège, ses efforts ne furent pas vains, car la fête du Saint-Sacrement fut introduite dans son diocèse. Et elle allait être étendue à toute l'Église par Urbain IV, six ans après sa mort. Pendant très longtemps on a dit que sainte Julienne du Mont-Cornillon a voulu promouvoir au 13e siècle tout à la fois un culte d'adoration du Saint-Sacrement, des processions et des saluts. Mais récemment, on a été davantage sensible à un autre aspect de ses voeux. Ce que Julienne aurait désiré, dit-on, c'est seulement la communion eucharistique des fidèles. Vu les progrès apportés dans ce domaine par le Concile, la Fête-Dieu, concluent certains, aurait perdu sons sens. En conséquence de quoi les processions et les expositions du Saint-Sacrement ne présenteraient plus aucun intérêt, seraient plutôt une déformation de la vraie liturgie et de toute façon sans aucun lien avec les souhaits de la sainte.

 

Le Concile a bon dos ! Jean-Paul II oppose un démenti catégorique à cette façon réductrice de voir à la fois le Concile et l'Eucharistie :

 

"Ce culte, écrit-il dans sa Lettre apostolique aux prêtres sur le mystère et le culte de la sainte Eucharistie (24 février 1980), doit apparaître dans chacune de nos rencontres avec le Saint Sacrement, quand nous visitions nos églises, ou quand les saintes espèces sont portées et administrées aux malades. L'adoration du Christ dans ce sacrement d'amour doit trouver ensuite son expression en diverses formes de dévotion eucharistique : prières personnelles devant le Saint Sacrement, heures d'adoration, expositions brèves, prolongées, annuelles (quarante heures), bénédictions eucharistiques, processions eucharistiques, congrès eucharistiques. La solennité du Corps et du Sang du Christ, instaurée par mon prédécesseur Urbain IV en mémoire de l'institution de ce grand mystère, comme acte public rendu au Christ présent dans l'Eucharistie, appelle ici une mention spéciale (…...) L'animation et l'approfondissement du culte eucharistique sont une preuve du renouveau authentique que le Concile s'est fixé comme but et ils en sont le point central. (rien que cela !) (...) Ne mesurons pas notre temps pour aller le rencontrer dans l'adoration, dans la contemplation pleine de foi."

 

Jean-Paul II reviendra sur le sujet à maintes occasions, notamment, bien sûr, lors de l'année de l'Eucharistie. Dans son encyclique L'Église vit de l'Eucharistie, il y a des pages entières consacrées à ce thème. C'est chaque fois la même insistance, non seulement pour encourager l'adoration eucharistique, par la parole et par son propre exemple, et en demandant instamment aux pasteurs, évêques et prêtres, d'en faire autant, mais aussi pour déplorer le délaissement du culte de l'Eucharistie en dehors de la messe :

 

"Malheureusement, à côté de ces lumières, les ombres ne manquent pas. Il y a en effet des lieux où l'on note un abandon presque complet du culte de l'adoration eucharistique." (n. 10)

 

En fait, à revenir aux origines de la Fête-Dieu, on arrive à cette conclusion : la Fête-Dieu garde tout son sens. Aujourd'hui la foi en Jésus Eucharistie n'aurait-elle plus besoin d'être ravivée ? Paul VI, dans sa Profession de Foi solennelle de 1968, a cru nécessaire d'insister sur le vrai sens de l'Eucharistie, alors que ce sacrement n'est pas mentionné dans le symbole des Apôtres ou dans celui de Nicée Constantinople. Par ailleurs, si l'on réduit la Fête-Dieu à une célébration en l'honneur de la Sainte Cène, en quoi cette fête manquerait-elle à l'Église, puisqu'on la célèbre déjà le soir du Jeudi Saint ?

 

Or, la fête de l'institution de l'Eucharistie le soir du Jeudi Saint célèbre un évènement. La Fête-Dieu, quant à elle, célèbre une vérité de notre foi ("Il est grand, le mystère de la foi !") et insiste davantage sur la permanence de la présence du Christ à son peuple dans le sacrement de l'eucharistie :

 

"Donne-nous de vénérer d'un si grand amour le mystère de ton corps et de ton sang, que nous puissions recueillir sans cesse le fruit de ta rédemption." (prière d'ouverture de la messe de la Fête du S. Sacrement)

 

Et que l'on ne vienne pas objecter en disant que le Christ n'a pas dit : "Prenez et adorez", mais "Prenez et mangez". Oui, mais justement, nous ne mangeons pas quelque chose, mais quelqu'un, quelqu'un qui est Dieu ! Ce n'est pas une "pastille" à "prendre", c'est le Corps de Dieu à accueillir. Et puis, ne confondons pas eucharistie et "fast food" !

 

"On ne peut pas, dit Benoît XVI, manger le Ressuscité, présent dans la figure du pain, comme un simple morceau de pain. Manger ce pain signifie communier, signifie entrer dans la communion avec la personne du Seigneur vivant. Cette communion, cet acte de manger, est réellement une rencontre entre deux personnes, une façon de se laisser pénétrer par la vie de Celui qui est le Seigneur, de Celui qui est mon Créateur et mon Rédempteur. Le but de cette communion, de cet acte de manger, est l'assimilation de ma vie à la sienne, ma transformation et ma conformation à Celui qui est Amour vivant. C'est pourquoi cette communion implique l'adoration, implique la volonté de suivre le Christ, de suivre Celui qui nous précède. Adoration et procession font donc partie d'un unique geste de communion, et répondent à son mandat : Prenez et mangez."

 

Qu'on se le dise ! Les siècles passent. Cependant, même après 760 ans, le message de Julienne garde toute son actualité et sa raison d'être. Avec cette différence qu'au 13e siècle la communion quotidienne pour les laïcs n'avait pas encore été instaurée par l'Église. Elle ne le sera qu'en 1905. C'est, avec l'admission à la communion des enfants (en 1910), une grande grâce que Dieu a faite à son Église.

 

Mais comme toute grâce, elle comporte une responsabilité, et aussi un danger : celui de la routine. De nos jours, nous sommes tellement habitués à communier que la communion en devient banalisée. Or, S. Paul dit :

 

"Ainsi donc, quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du corps et du sang du Seigneur. Que chacun donc s'éprouve soi-même, et qu'ainsi il mange de ce pain et boive de cette coupe ; car celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation, s'il ne discerne le Corps" (1 Co 11, 27-28).

 

Au lieu de prendre au sérieux ces paroles, l'on se permet de communier, même en état de péché grave, notamment à l'occasion de mariages ou d'enterrements, si bien (ou plutôt : si mal) que les évêques des Antilles-Guyane ont été amenés à interdire la célébration de l'eucharistie en ces circonstances ! Dans les premiers temps de l'Eglise, au moment de la communion retentissait un cri dans l'assemblée : "Sancta sanctis !" ("Celui qui est saint, qu'il communie, que celui qui ne l'est pas se repentisse !"). Mais le fait de communier sans aucune préparation, et sans faire une action de grâce digne de ce nom, ne constitue-t-il pas en lui-même un péché grave ? Certes, la liturgie de l'eucharistie elle-même nous prépare à la communion, notamment la préparation pénitentielle et la liturgie de la Parole, mais l'Église met aussi à la disposition de ses enfants des prières pour la préparation personnelle. Or, combien de chrétiens, au lieu de tirer profit de ces prières, passent leur temps à observer tout ce qui se passe autour d'eux, à papoter avec le voisin, quand ils ne se permettent pas d'arriver cinq, dix minutes en retard, et même davantage ? Certes, l'eucharistie est elle-même l'action de grâce par excellence, mais cette action de grâce commune demande à se prolonger dans notre action de grâce personnelle. Ici encore, combien de chrétiens, à peine quelques minutes après avoir communié, quittent l'église en la transformant en parloir si ce n'est en bistrot, empêchant même ceux qui le voudraient, de demeurer dans le recueillement ?

 

Au temps de Ste Julienne, une religieuse qui communiait restait souvent en silence une semaine entière ! S. Augustin écrit :

 

"Dans cette chair (le Seigneur) a marché sur notre terre et il nous a donné cette même chair à manger pour notre salut ; et personne ne la prend sans l'avoir d'abord adorée (...), de sorte qu'en l'adorant, nous ne péchons point, mais au contraire nous péchons si nous ne l'adorons pas."

 

Voilà donc que la Solennité de ce jour, avec ses processions et ses expositions du S. Sacrement, loin d'être une piété tombée en désuétude, n'en devient que plus actuelle. Elle nous rappelle en quoi l'eucharistie doit être pour nous, et pour chacune de nos communautés, source et sommet de notre vie chrétienne et de notre mission, tout au long de l'année et dans tous les domaines. "LOUÉ SOIT À TOUT INSTANT JÉSUS AU SAINT SACREMENT !"

https://www.evangile-et-peinture.org/dt_portfolios/meditations-dominicales/

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