Décidément, nous sommes bien aveugles (lisez : incroyants) ! Nous voulions mener notre vie chrétienne (?), et changer l’'Église et le monde comme si Jésus n’était pas là. Maintenant, Jésus, nous ayant persuadé du contraire, nous pensons que sa présence doit être celle d’un retraité, d’'un papa gâteux, qui a besoin que nous lui prêtions main forte pour le tirer d’'affaire… Alors Jésus veut continuer d’'ouvrir les yeux des malvoyants ("malcroyants") que nous sommes, et il nous dit :
Je suis le Bon Pasteur…,
sous-entendu : "Je ne suis pas encore retraité, j’exerce toujours mon métier !"
Le travail du berger, c’est de conduire et de nourrir le troupeau. Depuis deux mille ans, mine de rien, c’est Jésus qui gouverne son Église. Qui peut en dire autant ?
L’Église, en effet, est le bercail dont le Christ est l’entrée unique et nécessaire. Elle est aussi le troupeau dont Dieu a proclamé Lui-même à l’avance qu’Il serait le pasteur et dont les brebis, quoiqu’elles aient à leur tête des pasteurs humains, sont cependant continuellement conduites et nourries par le Christ même, Bon Pasteur et Prince des pasteurs, qui a donné sa vie pour ses brebis. (CEC 754)
D’ailleurs, il a encore du pain sur la planche :
J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie : celles-là aussi, il faut que je les conduise.
Notre erreur, c’est de penser "ou bien, ou bien". Selon nous, ou bien c’est le Christ qui conduit l’Église, où bien ce sont le Pape et les Évêques. Et l’Église gouvernée par le Pape et les Évêques ne peut pas être l’Église du Christ. Pour nous, c’est l’un ou c’est l’autre. Et dans les deux cas nous tombons dans le trou.
L’Église que Jésus conduit, c’est l’Église qu’il a fondée sur les Douze :
Dès le début de sa vie publique, Jésus choisit des hommes au nombre de douze pour être avec Lui et pour participer à sa mission. Il leur donne part à son autorité (…) Ils restent pour toujours associés au Royaume du Christ car Celui-ci dirige par eux l’Église. (CEC 551)
Parmi les Douze, Simon Pierre occupe la première place, et Jésus lui confie une autorité spécifique :
Jésus, "le Bon Pasteur" a confirmé cette charge après sa Résurrection : "Pais mes brebis" (Jn 21, 15-17). (CEC 553)
Le sacrement de l’Ordre est :
un des moyens par lesquels le Christ ne cesse de construire et de conduire son Église : Dans le service ecclésial du ministre ordonné, c’est le Christ Lui-même qui est présent à son Église en tant que Tête de son Corps, Pasteur de son troupeau, grand prêtre du sacrifice rédempteur, Maître de la vérité (…) Par le ministère ordonné, spécialement des évêques et des prêtres, la présence du Christ comme chef de l’Église est rendue visible au milieu de la communauté des croyants. (CEC 1547… 1549).
Décidément, nous avons des yeux, et nous ne voyons pas. Au baptême, nous avons reçu la foi, et nous ne croyons pas. Dans la préface pour la fête des Apôtres, ceux qui croient vraiment rendent grâce à Dieu en disant :
Tu n’abandonnes pas ton troupeau, Pasteur éternel, mais tu le gardes par les Apôtres sous ta constante protection. Tu le diriges encore par ces mêmes pasteurs qui le conduisent aujourd’hui au nom de ton Fils.
Allons-nous faire cela aujourd’hui : rendre grâce pour les papes, les évêques, les prêtres que Dieu nous a donnés ? Cela ne veut pas dire que tout est parfait.
Cette présence du Christ dans le ministre ne doit pas être comprise comme si celui-ci était prémuni contre toutes les faiblesses humaines, l’esprit de domination, les erreurs, voire le péché. La force de l’Esprit Saint ne garantit pas de la même manière tous les actes des ministres. Tandis que dans les sacrements cette garantie est donnée, de sorte que même le péché du ministre ne peut empêcher le fruit de grâce, il existe beaucoup d’autres actes où l’empreinte humaine du ministre laisse des traces qui ne sont pas toujours le signe de la fidélité à l’Évangile, et qui peuvent nuire par conséquent à la fécondité apostolique de l’Église. (CEC 1550)
Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus fait état de mercenaires. Qu’est-ce qui distingue le bon berger du mercenaire ? Pour répondre à cette question, remarquons d’abord que quand Jésus se présente comme LE Pasteur, il ne se qualifie pas de "vrai" comme quand il dit qu’il est LA Lumière, ou encore LE Pain, ou encore LA Vigne. Il veut dire encore moins qu’il est tout doux et tout gentil, comme l’ont représenté beaucoup d’images pieuses. Non ! Jésus se qualifie en réalité de Beau Pasteur ("kalos" en grec). Or beau, au sens biblique, ne veut pas dire quelqu’un qui sort premier d’un concours de beauté, ou quelqu’un qui fréquente assidûment les salons de beauté dans cet espoir, mais quelqu’un qui répond pleinement à sa vocation (comme, par exemple, en 1 P 4, 10, ou 2 Tm 2, 3).
Le mercenaire, lui, abandonne le troupeau et prend la fuite. Dès qu’il flaire le danger, dès qu’il sent que les choses vont se gâter, il fuit … sa vocation. Fuir sa vocation, ce n’est pas nécessairement prendre l’avion, ou le train ou la voiture. Jésus recommande même de le faire – et les chrétiens n’ont pas manqué de le faire – en cas de persécutions (Mt 10, 23 : "Si l’on vous pourchasse dans telle ville, fuyez dans telle autre, et si l’on vous pourchasse dans celle-là, fuyez dans une troisième").
Ce sont, dit S. Augustin, nos émotions qui mettent en mouvement nos âmes… Craindre c’est spirituellement fuir,
notamment quand le pasteur doit faire des réprimandes, et qu’il ne le fait pas, de crainte de se faire mal voir et d’avoir "des histoires". Combien nous autres, pasteurs, devons-nous redouter cette tentation de lâcheté qui consiste à vouloir sauvegarder sa tranquillité coûte que coûte ... même sous le couvert de la communion ecclésiale !
On ne peut pas soutenir un concept de communion selon lequel la valeur pastorale suprême consiste à éviter les conflits. La foi est toujours aussi une épée, et peut exiger réellement le conflit par amour de la Vérité et de la Charité (cf. Mt 10, 34). Un projet d’unité ecclésiale dans lequel le durcissement des conflits serait d’emblée évité au nom d’une paix artificielle, en renonçant à la totalité du témoignage, se révèlerait bien vite illusoire. " (Cardinal J. Ratzinger)
Et si la pastorale des vocations consistait à ratisser le plus large possible en se gardant à tout prix de déplaire au plus grand nombre, nous ne serions plus dans l’Église du Christ, mais dans un parti populiste. Des bergers ou des mercenaires : que demande le peuple ?
Jésus parle aussi de loups. Ils désignent plus spécialement les faux prophètes :
Méfiez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans sont des loups voraces. C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Cueille-t-on des raisins sur des épines ? ou des figues sur des chardons ? Ainsi tout arbre bon ("kalos" !) donne de bons fruits, tandis que l’arbre gâté produit de mauvais fruits… " (Mt 7, 15-20)
Je sais, moi, qu’après mon départ, il s’introduira parmi vous des loups redoutables qui ne ménageront pas le troupeau, et que du milieu même de vous se lèveront des hommes tenant des discours pervers, dans le but d’entraîner les disciples à leur suite. C’est pourquoi soyez vigilants… (Ac 20, 28-31)
Tout cela nous invite à grandir dans la foi, à ouvrir davantage les yeux :
Une foi qui suit les vagues de la mode n’est pas "adulte". Une foi adulte et mûre est profondément enracinée dans l’amitié avec le Christ. C’est cette amitié qui nous ouvre à tout ce qui est bon et nous donne le critère pour discerner entre le vrai et le faux, entre l’imposture et la vérité. C’est cette foi adulte que nous devons faire mûrir, c’est vers cette foi que nous devons guider le troupeau du Christ. Et c’est cette foi – seulement la foi – qui crée l’unité et se réalise dans la charité. (Cardinal J. Ratzinger)
Serons-nous toujours aussi lents à croire ?