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Publié par Walter Covens

    Tant que je n'accepte pas d'être un mélange de lumière et de ténèbres, de qualités et de défauts, d'amour et de haine, d'altruisme et d'égocentrisme, de maturité et d'immaturité; tant que je ne reconnais pas que nous sommes tous enfants du même Père, je continue à diviser le monde en "ennemis" (les "mauvais") et en "amis" (les "bons"); je continue à dresser des barrières autour de moi et de ma communauté, à répandre des préjugés.

    Mais si j'admets que j'ai des faiblesses et des défauts, que j'ai péché contre Dieu et contre mes frères et sœurs mais que je suis pardonné et que je peux progresser vers la liberté intérieure et un amour plus vrai, alors je peux accepter les défauts et les faiblesses des autres. Eux aussi sont pardonnés par Dieu et peuvent progresser vers la liberté et l'amour. Je peux regarder chaque être humain avec réalisme et amour; je peux commencer à voir en eux la blessure qui engendre la peur, mais aussi le don que je peux aimer et admirer. Nous sommes tous des personnes mortelles et fragiles mais nous sommes tous uniques et précieux. Il y a une espérance; nous pouvons tous progresser vers une plus grande liberté. Nous apprenons à pardonner.


    En communauté il est si facile de juger et de condamner les autres. Nous enfermons les gens dans des catégories: "Il ou elle est comme ceci ou comme cela." En faisant ainsi, nous leur refusons la possibilité de grandir. Jésus nous dit de ne pas juger ni condamner. C'est le péché de la vie communautaire. Si nous jugeons, c'est souvent parce qu'il y a quelque chose en nous dont nous nous sentons coupables et que nous ne voulons pas regarder ou laisser voir aux autres. Quand nous jugeons, nous repoussons les autres; nous élevons un mur, une barrière. Quand nous pardonnons, nous détruisons les barrières, nous nous rapprochons des autres.


    Il m'arrive de juger trop rapidement les personnes, leurs actes ou leur façon d'exercer l'autorité, sans connaître ou sans avoir assimilé tous les faits ou les circonstances. Il est plus facile de parler à partir de ses blessures que de son centre, là où Jésus est présent. Si facilement on remarque les imperfections des autres au lieu de souligner tout ce qui est positif en eux!

    Quand on parle à partir de sa blessure, très souvent c'est pour essayer de prouver qu'on est quelqu'un, parce qu'on a peur de disparaître, de n'être pas reconnu; peur de perdre quelque chose. L'intonation de notre voix peut révéler une colère inconsciente ou un besoin de dominer et de contrôler les autres, ou encore de la précipitation ou une tension dûe à un trouble intérieur ou à de l'angoisse. Il ne faut pas nous étonner de parler à partir de notre blessure, de nos mécanismes de défense et de trop vite juger les autres. Cela fait partie de notre humanité brisée. Nous portons tous intérieurement des blessures et des fragilités; nous pouvons tous avoir peur de certaines personnes et de leurs idées; nous avons tous du mal à écouter vraiment les autres et à les apprécier.

    Mais nous ne devons pas nous laisser dominer par nos instincts psychologiques; il nous faut approfondir notre vie spirituelle afin d'être plus centrés sur la vérité, sur l'amour, sur Dieu; afin de parler et d'agir à partir de ce centre et de ne pas juger les autres.

    Nous ne pouvons vraiment accepter les autres tels qu'ils sont et leur pardonner que lorsque nous découvrons que Dieu nous accepte vraiment tels que nous sommes et qu'Il nous pardonne. C'est une expérience profonde que de se savoir aimés et portés par Dieu avec toutes nos blessures et notre petitesse. Pour moi cela a été une grâce et un don, au cours de ces années vécues en communauté, de verbaliser mes péchés et de demander pardon à un prêtre qui écoute et qui dit: "Je te pardonne au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit." Accepter la responsabilité de notre péché et de notre dureté de cœur, et savoir que nous sommes pardonnés, est une réelle libération. Je n'ai plus à cacher ma culpabilité.


    Nous ne pouvons vraiment aimer nos ennemis et tout ce qui est brisé en eux que si nous commençons à aimer ce qui est brisé en nous. Le fils prodigue, après avoir découvert de quelle façon extraordinaire il est aimé du Père, ne pourra plus jamais juger quelqu'un. Comment pourrait-il rejeter quelqu'un, lorsqu'il voit comment le Père l'a accepté, tel qu'il était, avec tout ce qui était brisé en lui. Le fils aîné, au contraire, a jugé parce qu'il n'avait pas encore assumé sa propre blessure; elle était encore cachée dans la tombe de son être, avec la pierre bien roulée à l'entrée.

    Nous ne pouvons vraiment aimer avec un cœur universel que si nous découvrons que nous sommes aimés par le cœur universel de Dieu.


    La communauté est le lieu du pardon. Malgré toute la confiance qu'on peut avoir les uns dans les autres, il y a toujours des paroles qui blessent, des attitudes où l'on se met en avant, des situations où les susceptibilités se heurtent. C'est pour cela que vivre ensemble implique une certaine croix, un effort constant et une acceptation qui est un pardon mutuel de chaque jour.

    Si on entre dans une communauté sans savoir qu'on y entre pour apprendre à pardonner et à se faire pardonner soixante-dix fois sept fois, on sera vite déçu.


    Mais pardonner ce n'est pas simplement dire à quelqu'un qui s'est mis en colère, qui a claqué les portes et qui a eu un comportement anti-social ou "anti-communautaire": "Je te pardonne." Quand on a le pouvoir et qu'on est bien établi dans la communauté, il est facile de "manier" le pardon. Pardonner, c'est aussi comprendre ce qui se cache derrière cette colère ou ce comportement antisocial, ce que les gens veulent dire à travers ça. Peut-être se sentent-ils rejetés. Peut-être ont-ils l'impression que personne n'écoute ce qu'ils ont à dire ou bien se sentent-ils incapables d'exprimer ce qui est en eux. Peut-être la communauté est-elle trop rigide ou trop légaliste et figée dans ses manières, peut-être même y a-t-il un manque d'amour et de vérité. Pardonner c'est aussi regarder en soi et voir ce qu'il faudrait changer, ce pour quoi on devrait aussi demander pardon et réparer.

    Pardonner, c'est reconnaître à nouveau - après une séparation - l'alliance qui nous lie à ceux avec lesquels nous ne nous entendons pas bien; c'est s'ouvrir à eux et les écouter à nouveau. C'est leur donner de l'espace dans nos cœurs. C'est pourquoi il n'est jamais facile de pardonner. Nous aussi devons changer. Nous devons apprendre à pardonner, et encore pardonner, et toujours pardonner, jour après jour. Nous avons besoin de la puissance du Saint-Esprit pour nous ouvrir de cette manière.

La Communauté, lieu du pardon et de la fête, Éd. Fleurus/Bellarmin 1989, p. 42-45
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