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Publié par dominicanus

La réponse de la Commission pontificale pour l’Interprétation (mars 1988)
En moins de trois semaines, par lettre du 10 mars 1988, arriva la réponse de la Commission pontificale. La rapidité et le contenu de la réponse sont compréhensibles compte tenu du moment législatif particulier : le travail de codification qui avait occupé la Commission pendant des années, venait à peine d’être terminé et, de fait, il restait encore à compléter toutes les adaptations à la nouvelle discipline canonique des autres normes du droit universel et particulier, sans compter celles qui étaient propres aux autres institutions du gouvernement de l'Église. La réponse, bien évidemment, partageait les motivations adoptées et le bien fondé du critère d’appliquer les sanctions pénales avant d’accorder des grâces ; toutefois, il était inévitable qu’elle confirme aussi la nécessité prioritaire, pour ceux qui avaient l’autorité et le pouvoir juridique, de donner la suite qui leur était due aux normes du Code qui venait d’être promulgué.


Le texte que le Président, alors en exercice, de la Commission pontificale envoya au Cardinal Préfet de la Doctrine de la Foi témoignait aussi de la situation du moment :


Je comprends bien la préoccupation de Votre Éminence au sujet du fait que les Ordinaires concernés n’aient pas d’abord exercé leur pouvoir judiciaire pour punir, comme il se doit, en vue de préserver le bien commun des fidèles, de tels délits. Toutefois, il ne semble pas s’agir ici d’un problème de procédure juridique mais d’un exercice responsable de la fonction de gouvernement.
Dans le Code en vigueur ont été clairement définis les délits qui peuvent impliquer la perte de l’état clérical : ceux-ci sont décrits aux canons 1364 § 1, 1367, 1370, 1387, 1394 et 1395. En même temps, la procédure, par rapport aux précédentes normes du CIC de 1917 a été très simplifiée et rendue plus rapide et souple, afin de stimuler les Ordinaires dans l’exercice de leur autorité, par le jugement nécessaire des coupables « ad normam iuris » et l’application des sanctions prévues.
S’efforcer de simplifier davantage la procédure judiciaire pour infliger ou déclarer des sanctions aussi graves que la démission de l’état clérical, ou encore, modifier la norme actuelle du can. 1342 § 2, qui interdit dans ces cas de procéder par décret administratif extrajudiciaire (cf. can. 1720), ne semble pas du tout souhaitable. En effet, d’une part, le droit fondamental de défense serait alors mis en danger – dans des causes qui concernent l’état de la personne -, tandis que, d’autre part, serait favorisée ainsi la tendance néfaste – liée sans doute à une faible connaissance ou estime du droit – à un soi-disant gouvernement « pastoral » équivoque, qui au fond n’a rien de pastoral car il conduit à négliger le nécessaire exercice de l’autorité au détriment du bien commun des fidèles.
Même en d’autres périodes difficiles de la vie de l'Église, marquées par l’obscurcissement des consciences et le relâchement de la discipline ecclésiastique, les Pasteurs n’ont pas manqué d’exercer leur pouvoir judiciaire, pour conserver le bien suprême du « salus animarum ».


La lettre fait ensuite un excursus sur le débat qui, au cours des travaux de révision du Code, s’était développé avant de décider de ne pas y insérer la démission dite « ex officio » de l’état clérical. On était d’avis, en effet, que les causes qui pourraient justifier une telle procédure « ex officio » étaient presque toutes décrites dans les délits pour lesquels était prévue la démission de l’état clérical (cf. Communicationes 14 [1982] 85), si bien que, pour ce motif même, les nouvelles Normes concernant la dispense du célibat sacerdotal, du 14 octobre 1980 (AAS 72 [1980] 1136-1137), ne faisaient même pas allusion à cette procédure, qui, à l’inverse, était admise dans les Normes précédentes de 1971 (AAS 63 [1971] 303-308).


Tout bien considéré – concluait la réponse – la Commission pontificale est d’avis qu’il soit opportun d’insister auprès des Évêques (cf. can. 1389) afin que, toutes les fois où cela s’avère nécessaire, ils ne manquent pas d’exercer leur pouvoir judiciaire et de contrainte, au lieu de transmettre au Saint-Siège les demandes de dispense.


Tout en partageant l’exigence de fond de protéger « le bien commun des fidèles », la Commission pontificale pensait en effet qu’il était risqué de renoncer à certaines garanties concrètes au lieu d’exhorter ceux qui en avaient la responsabilité à appliquer les dispositions du droit.


L’échange de lettres entre les Dicastères se termina, à l’époque, par une réponse courtoise, du 14 mai suivant, du Préfet de la Congrégation au Président de la Commission pontificale :


Je suis heureux de vous faire savoir que notre Dicastère a bien reçu l’avis apprécié que vous avez donné à propos de la possibilité de prévoir une procédure plus rapide et simplifiée que l’actuelle pour l’application d’éventuelles sanctions de la part des Ordinaires compétents, à l’égard de prêtres qui se sont rendus coupables de comportements graves et scandaleux. Je puis assurer Votre Éminence que la Congrégation ne manquera pas de prendre attentivement en considération ce que vous avez indiqué.



La Pastor Bonus étend les compétences de la Congrégation (juin 1988)
Le débat semblait formellement clos, mais le problème n’était pas résolu. De fait, le premier signe important de changement de la situation vint, par une voie différente, précisément un mois après, avec la promulgation de la Constitution apostolique Pastor Bonus qui modifiait l’organisation générale de la Curie Romaine, établie en 1967 par la Regimini ecclesiae universae, en redistribuant les compétences des divers Dicastères. L’art. 52 de cette norme pontificale, encore en vigueur aujourd’hui, prévoit clairement la juridiction pénale exclusive de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, non seulement en ce qui concerne les délits contre la foi ou dans la célébration des Sacrements, mais aussi en ce qui concerne les « délits les plus graves commis contre la morale ». La Congrégation pour la Doctrine de la Foi « juge les délits contre la foi et les délits les plus graves commis soit contre la morale soit dans la célébration des Sacrements, qui lui sont signalés et, en l’occurrence, elle déclare ou inflige les sanctions canoniques prévues soit par le droit commun soit par le droit propre » (art. 52 Pastor Bonus).


Ce texte, évidemment proposé par la Congrégation présidée par le Cardinal Ratzinger à partir de sa propre expérience, est en relation directe avec ce que nous sommes en train de voir et il acquiert une signification plus grande encore si l’on tient compte du fait que le précédent « projet » de cette loi – le Schema Legis Peculiaris de Curia Romana, préparé trois ans auparavant -, se limitait pratiquement à reprendre la formulation des compétences de ce Dicastère telle qu’elles étaient exposées en 1967 dans Regimini, disant simplement que la Congrégation : « delicta contra fidem cognoscit, atque ubi opus fuerit ad canonicas sanctiones declarandas aut irrogandas, ad normam iuris procedit » (art. 36 Schema Legis Peculiaris de Curia Romana, Typis Polyglottis Vaticanis 1985, p. 35).


Par rapport à la situation précédente, donc, le changement apporté par la Constitution apostolique Pastor Bonus revêt une grande importance, d’autant plus que, cette fois, il était effectué dans la perspective normative du Code de 1983 et en référence aux délits qui y sont décrits, en plus du « droit propre » de la Congrégation elle-même. Dans un cadre normatif réglé par les fameux critères de « subsidiarité » et de « décentralisation », la Constitution apostolique Pastor Bonus constituait alors un acte juridique qui « réservait » au Saint-Siège (cf. can. 381 § 1 CIC) toute une catégorie de délits, que le Souverain Pontife confiait à la juridiction exclusive de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Il est improbable qu’un choix de ce genre, qui définissait mieux les compétences de la Congrégation et modifiait le critère du Code concernant celui qui devait appliquer ces peines canoniques, aurait pu être fait si le système avait, d’une manière générale, bien fonctionné.


Cette norme, toutefois, était encore insuffisante sur le plan opérationnel. D’élémentaires exigences de sécurité juridique imposaient en effet la nécessité d’identifier en premier lieu quels pouvaient être concrètement ces « délits les plus graves » aussi bien ceux contre la morale que ceux commis dans la célébration des sacrements que la Constitution apostolique Pastor Bonus confiait à présent à la Congrégation en les enlevant à la juridiction des Ordinaires.

Deux importantes interventions postérieures
Les épisodes évoqués jusqu’à présent concernent, comme on l’a vu, un bref laps de temps : quelques mois de la première moitié de 1988. Au cours des années qui ont suivi – d’une manière générale – on s’est encore efforcé de faire face aux urgences apparues dans le cadre pénal de l'Église en suivant les critères généraux du Code de 1983, substantiellement résumés dans la lettre de la Commission pontificale pour l’Interprétation du Code de Droit Canonique. On prit soin, en effet, d’encourager l’intervention des Ordinaires du lieu, en voulant parfois faciliter les procédures ou bien en introduisant un droit spécial, en dialogue essentiellement avec les Conférences épiscopales intéressées. Durant les années 1990, les réunions et les projets de ce genre se sont multipliés, concernant divers Dicastères de la Curie Romaine et il est facile de le montrer.


L’expérience qui continuait à prévaloir confirmait toutefois l’insuffisance de ces solutions et la nécessité d’en trouver d’autres, qui soient plus amples et se situent à un autre niveau. Deux d’entre elles, d’une manière particulière, ont modifié de façon significative le cadre du Droit pénal canonique sur lequel le Conseil pontifical pour les Textes législatifs a dû travailler ces derniers mois. Et, toutes deux ont pour requérant l’actuel Pontife, dans une parfaite continuité avec les préoccupations exprimées dans la lettre de 1988 que nous avons considérée.


La première initiative, désormais assez connue, concerne la préparation, durant la dernière période des années 90, des Normes sur ce qu’on appelle les delicta graviora, qui ont permis de rendre effectif l’art. 52 de la Constitution apostolique Pastor Bonus, en indiquant concrètement quels délits contre la morale et quels délits commis dans la célébration des sacrements devaient être considérés « particulièrement graves », et donc de la juridiction exclusive de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.


Ces Normes, finalement promulguées en 2001, apparaissent nécessairement « à contre-courant » par rapport aux critères prévus par le Code pour l’application des sanctions pénales, si bien qu’en de nombreux milieux elles furent immédiatement qualifiées de Normes « centralisatrices », alors qu’en réalité, elles répondaient à une obligation précise de « suppléance », qui tentait, in primis, de résoudre un grave problème ecclésial de fonctionnement du système pénal, et, in secundis, d’assurer un traitement uniforme de ce genre de causes dans toute l'Église. Dans ce but, la Congrégation dut préparer en premier lieu les normes internes de procédure correspondantes, et également réorganiser le Dicastère pour lui permettre d’exercer cette activité judiciaire en accord avec les règles de procédure du Code.


En outre, au cours des années qui suivirent 2001, et sur la base de l’expérience juridique qui naissait, le Préfet de la Congrégation de l’époque obtint du Saint-Père de nouvelles facultés et dispenses pour faire face aux diverses situations, aboutissant même à la définition de nouveaux « cas d’espèce » pénaux. On parvint en même temps à la conviction que la « grâce » de la dispense des obligations sacerdotales et la réduction, par voie de conséquence, à l’état laïc de clercs qui se sont reconnus coupables de très graves délits était aussi une grâce concédée pro bono Ecclesiae. Pour le même motif, dans certains cas particulièrement graves, la Congrégation n’hésita pas à solliciter du Souverain Pontife le décret de démission ex officio de l’état clérical à l’égard des clercs qui avaient commis des crimes abominables. Ces adaptations successives sont réunies maintenant dans les Normes sur les delicta graviora publiées par la Congrégation au mois de juillet dernier.


Toutefois, le Pontife actuel a pris une deuxième initiative, beaucoup moins connue, à laquelle je voudrais brièvement faire allusion, car elle a certainement contribué à modifier le panorama de l’application du Droit pénal dans l'Église. Il s’agit de son intervention, en tant que Membre de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples, dans la préparation des facultés spéciales concédées à cette Congrégation pour faire face, en vue aussi d’une nécessaire « suppléance », à d’autres types de problèmes disciplinaires dans les pays de mission.


En fait, il n’est pas difficile de comprendre qu’à cause du manque de moyens en tous genres, les obstacles pour mettre en œuvre le système pénal du Code se présentèrent de manière particulière dans les circonscriptions missionnaires, qui dépendent de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples et qui, grosso modo, représentent presque la moitié du monde catholique.


C’est pourquoi, à l’Assemblée plénière de février 1997, cette Congrégation décida de demander au Saint-Père des « facultés spéciales » pour lui permettre d’intervenir, par voie administrative, dans des situations pénales précises, et ce, en marge des dispositions générales du Code ; à cette Assemblée plénière, le Rapporteur était le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de l’époque. Comme on le sait, ces « facultés » ont été mises à jour et élargies en 2008, et d’autres, de nature analogue, même si spécifiques à cause de leurs nécessités particulières, ont été concédées par la suite à la Congrégation pour le Clergé.


Il ne semble pas nécessaire d’ajouter autre chose. En des circonstances appropriées ont déjà été publiées des études qui montrent suffisamment les variations advenues dans le droit pénal de l'Église à travers toutes ces initiatives. L’expérience nous dira dans quelle mesure les modifications que l’on désire apporter à présent au Livre VI réussiront à rééquilibrer la situation. Je tenais surtout à présent à souligner le rôle déterminant joué, dans ce processus, datant de plus de 20 ans, de rénovation de la discipline pénale, par l’action décisive de l’actuel Pontife, au point de constituer véritablement - avec beaucoup d’autres initiatives concrètes – une des « constantes » qui a caractérisé l’action de Joseph Ratzinger.

 

(Radio Vatican)

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