Dans son discours de vœux à la curie, Benoît XVI s'adresse en réalité au monde entier. Les abus sexuels commis par le clergé, dit-il, résultent de l'incapacité de distinguer le bien et le mal. Et il rappelle la leçon de Newman: la conscience est faite pour obéir à la vérité
ROME, le 20 décembre 2010 – Lorsqu’il a souhaité, ce matin, un joyeux Noël à la curie romaine, Benoît XVI s’est en
réalité adressé à toute l’Église et au monde. Comme les années précédentes, il a voulu mettre en évidence dans son discours de vœux – entièrement de sa main – à la curie les lignes directrices de
son pontificat.
En 2005, le thème du discours avait été l'interprétation et la mise en œuvre du concile Vatican II, ainsi que le rapport entre continuité et renouvellement, dans l’Église :
> "Réveille-toi, homme..."
En 2006 le pape avait mis au centre de son discours la question de Dieu. De plus, s’appuyant sur son voyage à Istanbul, il avait exprimé de la manière la plus claire sa vision des relations avec
l'islam et proposé au monde musulman le parcours déjà accompli par le christianisme en réponse au défi des Lumières :
> Bilan de quatre voyages et d’un an
de pontificat
En 2007 Benoît XVI avait traité de l'urgence pour l’Église de se mettre en état de mission vers tous les peuples de la terre :
> Surprise: le pape amène la curie
au Brésil
En 2008 il avait attiré l'attention sur la plus "oubliée" des personnes de la trinité divine, l’Esprit-Saint "créateur", dont l’empreinte se trouve dans la structure ordonnée du cosmos et de
l'homme, qu’il faut admirer et respecter :
> "Veni Creator Spiritus". Pour une
écologie de l'homme
En 2009, s’appuyant sur son voyage en République Tchèque, pays comportant une majorité d’agnostiques et d’athées, Benoît XVI a lancé une nouvelle évangélisation destinée précisément à ceux qui
sont loin de Dieu. Le pape a proposé à l’Église d’ouvrir pour eux, comme dans l'ancien temple de Jérusalem, "une cour des Gentils", où pourraient rester vivantes la recherche et la soif de
Dieu:
> "Je pense qu'aujourd'hui aussi
l'Eglise devrait ouvrir une cour des Gentils"
Cette année Benoît XVI a mis au centre de sa réflexion la question de la vérité : parce que "seule la vérité sauve" l’Église et le monde. Les abus sexuels commis par le clergé sur des enfants
sont aussi le résultat d’un aveuglement de la conscience, incapable de distinguer le bien et le mal.
En ce qui concerne la signification de la conscience – non pas comme pur jugement subjectif, mais comme obéissance à la vérité – le pape a repris la leçon du cardinal John Henry Newman, qu’il a
béatifié au cours de son voyage au Royaume-Uni.
On trouvera ci-dessous les passages clés du discours de vœux adressé par Benoît XVI à la curie romaine le matin du lundi 20 décembre 2010.
Sandro Magister
"RÉVEILLE TA PUISSANCE, SEIGNEUR, ET VIENS"
par Benoît XVI
[...] “Excita, Domine, potentiam tuam, et veni”
: la liturgie de l’Église prie en employant, à de nombreuses reprises pendant les jours de l’Avent, cette phrase et d’autres qui sont semblables. [...] Cette prière rappelle le cri lancé au
Seigneur qui était en train de dormir dans la barque des disciples ballottée par la tempête et prête à couler. Quand sa parole puissante eut apaisé la tempête, il reprocha aux disciples leur peu
de foi (cf. Mt 8, 26). Il voulait dire : en vous la foi a dormi. Et il veut nous dire la même chose. En nous aussi, bien souvent, la foi dort. Prions-le donc de nous tirer du sommeil d’une foi
qui est fatiguée et de redonner à cette foi le pouvoir de déplacer les montagnes : c’est-à-dire de redonner leur ordre juste aux choses du monde.
“Excita, Domine, potentiam tuam, et veni” : dans les grandes misères auxquelles nous avons été exposés au cours de cette année, cette prière de l’Avent est revenue sans cesse à mon esprit et sur
mes lèvres. C’est avec beaucoup de joie que nous avions commencé l’Année Sacerdotale et, grâce à Dieu, nous avons pu la conclure également avec beaucoup de gratitude, bien qu’elle se soit
déroulée de manière très différente de ce à quoi nous nous attendions.
En nous prêtres et chez les laïcs, et même chez les jeunes, il y a une conscience renouvelée du don que représente le sacerdoce de l’Église catholique, qui nous a été confié par le Seigneur. Nous
avons de nouveau compris combien il est beau que des êtres humains soient autorisés à prononcer, au nom de Dieu et avec un plein pouvoir, la parole du pardon et qu’ainsi ils soient en mesure de
changer le monde, la vie ; combien il est beau que des êtres humains soient autorisés à prononcer les paroles de la consécration, par lesquelles le Seigneur attire en lui un morceau du monde et
de cette façon, en un certain lieu, le transforme en sa propre substance ; combien il est beau de pouvoir être, avec la force du Seigneur, près des hommes dans leurs joies et leurs souffrances,
aux heures importantes comme aux heures sombres de l’existence ; combien il est beau d’avoir comme devoir dans la vie non pas tel ou tel, mais simplement l’être même de l’homme : pour l’aider à
s’ouvrir à Dieu et à vivre à partir de Dieu.
Nous avons donc été d’autant plus bouleversés lorsque, justement cette année-là et à un degré que nous n’aurions pas pu imaginer, nous avons été informés d’abus sexuels commis par des prêtres sur
des mineurs, qui dénaturent le Sacrement pour en faire son contraire : sous le manteau du sacré ils blessent profondément l’être humain dans son enfance et lui portent un préjudice qui durera
toute sa vie.
Dans ce contexte, j’ai pensé à une vision de sainte Hildegarde de Bingen qui décrit de manière bouleversante ce que nous avons vécu cette année. [...]
Dans la vision de sainte Hildegarde, le visage de l’Église est couvert de poussière et c’est ainsi que nous l’avons vu. Son vêtement est déchiré, par la faute des prêtres. Ce qu’elle a vu et
exprimé, nous l’avons vécu cette année. Nous devons recevoir cette humiliation comme une exhortation à la vérité et un appel au renouvellement.
Seule la vérité sauve. Nous devons nous interroger sur ce que nous pouvons faire pour réparer le plus possible l’injustice qui a été commise. Nous devons nous demander ce qui était erroné dans
notre annonce, dans toute notre manière de configurer le fait d’être chrétien, au point qu’une pareille chose ait pu se produire. Nous devons trouver une nouvelle résolution dans la foi et dans
le bien. Nous devons être capables de pénitence. Nous devons nous efforcer de tenter tout ce qu’il est possible de faire, dans la préparation au sacerdoce, pour qu’une telle chose ne puisse plus
se produire.
Je voudrais maintenant remercier du fond du cœur tous ceux qui s’emploient à aider les victimes pour que, de nouveau, elles aient confiance en l’Église et soient capables de croire en son
message. Lors de toutes mes rencontres avec les victimes de ce péché, j’ai également trouvé des gens qui, avec beaucoup de dévouement, se tiennent aux côtés de ceux qui souffrent et qui ont été
blessés. C’est aussi l’occasion de remercier également les bons prêtres, si nombreux, qui font connaître humblement et fidèlement la bonté du Seigneur et qui, au milieu des dégâts, sont témoins
de la beauté du sacerdoce qui n’est pas perdue.
Nous sommes conscients de la gravité particulière de ce péché commis par des prêtres et de la responsabilité correspondante qui nous incombe. Mais nous ne pouvons pas non plus ne rien dire du
contexte que constitue notre temps, où l’on aura pu voir ces événements.
Il existe un marché de la pornographie impliquant des enfants qui, d’une certaine manière, semble être de plus en plus considéré par la société comme quelque chose de normal. La dévastation
psychologique d’enfants, en qui l’être humain est réduit à l’état d’objet commercial, est un effrayant signe des temps. Des évêques de pays du Tiers Monde me disent sans cesse à quel point le
tourisme sexuel menace toute une génération et l’atteint dans sa liberté et dans sa dignité humaine. L’Apocalypse de saint Jean met au nombre des grands péchés de Babylone – symbole des grandes
villes irréligieuses du monde – le fait de pratiquer le commerce des corps et des âmes et d’en faire une marchandise (cf. Ap 18, 13). Dans ce contexte, on voit aussi se poser le problème de la
drogue, qui étend avec une force croissante ses tentacules de poulpe autour du globe terrestre tout entier, expression éloquente de la dictature de Mammon qui pervertit l’homme. Tout plaisir
devient insuffisant et l’excès dans l’illusion de l’ivresse devient une violence qui ravage des régions entières, cela au nom d’un malentendu fatal à propos de la liberté, dans lequel justement
la liberté de l’homme est attaquée et finit par être complètement annihilée.
Pour nous opposer à ces forces, nous devons examiner leurs bases idéologiques. Dans les années Soixante-dix, la pédophilie a été théorisée comme quelque chose de tout à fait conforme à la nature
de l’homme et aussi de l’enfant. Mais cela faisait partie d’une perversion de fond du concept d’ethos. On affirmait – jusque dans les milieux de la théologie catholique – que ni le mal en soi, ni
le bien en soi n’existaient. Seuls auraient existé un “mieux que” et un “pire que”. Rien n’aurait été bien ou mal en soi. Tout aurait dépendu des circonstances et du but visé. Selon les buts et
les circonstances, tout pourrait être bien ou mal. La morale est remplacée par un calcul des conséquences et, de ce fait, elle cesse d’exister.
Les effets de ces théories sont évidents aujourd’hui. Contre elles, le pape Jean-Paul II, dans son encyclique "Veritatis splendor" de 1993, a indiqué avec une force prophétique dans la grande
tradition rationnelle de l’ethos chrétien, les bases essentielles et permanentes de l’action morale. Aujourd’hui ce texte doit être remis à l’honneur en tant que chemin dans la formation de la
conscience. Nous avons la responsabilité de rendre ces critères à nouveau audibles et compréhensibles pour les hommes comme voies de la véritable humanité, dans le contexte de la préoccupation
pour l’homme, dans laquelle nous sommes plongés. [...]
*
Je voudrais aussi rappeler la béatification du cardinal John Henry Newman. Pourquoi a-t-il été béatifié ? Qu’a-t-il à nous dire ? On peut donner à ces questions beaucoup de réponses, qui ont été
développées dans le cadre de la béatification. Je voudrais relever seulement deux aspects qui sont liés et qui, en fin de compte, expriment la même chose.
Le premier est que les trois conversions de Newman doivent nous apprendre quelque chose, parce qu’elles sont les étapes d’un cheminement spirituel qui nous intéresse tous. Je ne veux évoquer ici
que la première, sa conversion à la foi en Dieu vivant.
Jusqu’à ce moment, Newman pensait comme la moyenne des hommes de son temps et comme la moyenne des hommes d’aujourd’hui, qui n’excluent pas purement et simplement l’existence de Dieu, mais la
considèrent en tout cas comme quelque chose d’incertain, qui n’a aucun rôle essentiel dans leur vie. Ce qui lui paraissait vraiment réel, comme aux hommes de son temps et du nôtre, c’était ce qui
est empirique, matériellement saisissable. Telle est la “réalité” en fonction de laquelle on s’oriente. Le “réel”, c’est ce qui est saisissable, les choses que l’on peut compter et prendre en
main.
Dans sa conversion Newman reconnaît que c’est justement le contraire : que Dieu et l’âme, l’être soi-même de l’homme au niveau spirituel, constituent ce qui est vraiment réel, ce qui compte. Ils
sont beaucoup plus réels que les objets saisissables. Cette conversion représente une révolution copernicienne. Ce qui, jusqu’alors, paraissait irréel et secondaire se révèle être vraiment
décisif. Lorsqu’une telle conversion a lieu, ce qui change, ce n’est pas simplement une théorie, c’est la forme fondamentale de la vie. Nous avons tous besoin, sans cesse, d’une telle conversion
car c’est alors que nous sommes sur la voie droite.
La force motrice qui poussait Newman sur le chemin de la conversion était la conscience. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Dans la pensée moderne, le mot “conscience” signifie que, en matière de
morale et de religion, la dimension subjective, l’individu, constitue l’instance ultime de décision. [...]
La conception qu’a Newman de la conscience est diamétralement opposée. Pour lui “conscience” signifie la capacité de vérité de l’homme : la capacité de reconnaître justement dans les domaines
décisifs de son existence – religion et morale – une vérité, "la" vérité. La conscience, la capacité de l’homme de reconnaître la vérité, lui impose, en même temps, le devoir de se mettre en
marche vers la vérité, de la chercher et de se soumettre à elle là où il la rencontre. La conscience est une capacité de vérité et une obéissance à la vérité, qui se montre à l’homme qui cherche
avec un cœur ouvert. Le chemin des conversions de Newman est un chemin de la conscience : non pas un chemin de la subjectivité qui s’affirme, mais, bien au contraire, un chemin de l’obéissance à
la vérité qui s’ouvrait peu à peu à lui. [...]
Pour pouvoir soutenir qu’il y a identité entre l’idée que Newman se faisait de la conscience et la conception subjective moderne de la conscience, on cite souvent la formule dans laquelle il
disait que, s’il devait porter un toast, il le ferait d’abord à la conscience et ensuite au pape. Mais, dans cette affirmation, “conscience” ne signifie pas le caractère obligatoire ultime de
l’intuition subjective. Elle est l’expression de l’accessibilité et de la force contraignante de la vérité : c’est là-dessus que se fonde sa primauté. Le second toast peut être dédié au pape,
parce que celui-ci a le devoir d’exiger l’obéissance à la vérité. [...]
Le texte intégral du discours, sur le site du Vatican ::
> "Signori cardinali..."
www.chiesa
Traduction française par Charles de
Pechpeyrou.