La théologie chrétienne a, dès le commencement, énoncé ce motif de l'Incarnation: "Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu". On retrouve encore ce thème chez Angelus Silesius (III, 20):
"Oui, pensez donc, Dieu devient moi et vient dans ma misère, pour que j'entre dans le Royaume et puisse devenir Lui".
Aujourd'hui, des voix s'élèvent à l'encontre de cette finalité. Le psychanalyste H.E. Richter ramène ainsi toute la crise de la civilisation technologique à un "complexe de Dieu", répandu, dit-il, tel une épidémie, sur l'Occident: désir exaspéré de toute-puissance divine, qui voudrait tout régir, mais incapable de pâtir et de compatir, de renoncer et de se solidariser. Le philosophe E. Topitsch règle ses comptes avec les différentes voies mystiques et politiques de la "divinisation" de l'homme et, sceptique, pose la question: "Et si l'homme, finalement, devenait Dieu - Qu'est-ce que cela lui apporterait?" Le théologien Hans Küng a généralisé la question: "Y a-t-il aujourd'hui un seul homme sensé qui veuille devenir Dieu?" Ce scepticisme peut être compris comme une réaction aux dangers qui se réveillent quand l'homme en vient à se surestimer, en dehors de toute mesure; il se veut appel à la modestie, à la prise en compte des défaillances et renoncements hors desquels la survie de l'humanité semble de plus en plus menacée. L'appel à renoncer au désir d'être comme Dieu commence cependant à poser problème quand sa seule alternative consiste à renoncer à toute "nostalgie du tout-autre" (M. Horkheimer). Se contenter d'une existence passagère, renoncer à tout désir de parvenir au-delà des limites de la finitude et de la mortalité ne peut être la bonne solution. On ne voit pas, du reste, comment ce genre d'humilité peut entraîner les hommes à la solidarité, à l'esprit de sacrifice et de compassion.
Quand le christianisme se donne pour finalité la divinisation de l'homme, il ne trace pas un chemin d'auto-divinisation. Il libère au contraire du "complexe de Dieu", de la nécessité de vouloir soi-même devenir comme Dieu; il libère d'une représentation de Dieu qui, en inversant l'image, projette la propre impuissance en toute-puissance despotique.
Le thème de l'"échange admirable" indique la direction où doit être recherchée la "divinisation" de l'homme. Paul le formule et trace le chemin: "Vous connaissez, en effet, la libéralité de notre Seigneur Jésus-Christ, qui pour vous s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté" (2 Co 8, 9). La voie chrétienne de la divinisation ne peut être que celle qui rend l'homme semblable à Dieu, jusque dans son "anéantissement" (Phil 2, 7) par lequel il nous enrichit. Le but de l'Incarnation est la divinisation de l'homme. Mais le chemin qui mène à ce but ne peut être autre que celui que le Fils de Dieu a emprunté en se faisant homme pour nous.
Grégoire de Nysse a formulé ainsi le thème paulinien: "Dieu prend la pauvreté de ma chair pour que je reçoive la richesse de sa divinité" (PG, 35, 325). Cet échange, que Luther disait "joyeux", occupe la place centrale de l'icône de Noël, à laquelle est consacrée la méditation finale qui va suivre. Le langage de l'image contemple ces deux aspects: comment Dieu, en se faisant homme, prend ma pauvre chair et comment je reçois de sa pauvreté la richesse de sa vie divine.
Christophe Schönborn, "Noël, quand le mythe devient réalité", Desclée 1991, p. 58-61)