Les cadeaux, ça peut coûter cher en ce temps de crise. Les voeux, même "les meilleurs", ça ne coûte rien, sinon (et de moins en moins souvent à l'ère de l'Internet) le prix d'une carte et d'un timbre poste. On s'ingénie à inventer de belles phrases, avec une mulitiplication d'adjectifs, de superlatifs : une vraie inflation, un feu d'artifice, comme ceux que nous avons pu voir à minuit, mais à bon marché! Comme le disait le cardinal Martini dans une de ces homélies de Noël,
On parle même de "voeux pieux". Ce sont des voeux sans espoir de réalisation...
Décidément, voilà une analyse bien sombre de la tradition d'échanger nos voeux à Noël et au Nouvel An ! Mais il ne faut pas s'en débarrasser trop facilement. Ayons plutôt le courage de l'accueillir sereinement pour en faire notre profit. Ayons "le courage d'avoir peur" (M.D. Molinié). Cette angoisse que nous essayons, bien maladroitement, de manière presque dérisoire, d'exorciser par nos voeux, ne la nions pas, ne la fuyons pas. Regardons-la en face ! C'est vrai que "nous sommes une génération traumatisée par tant de chocs", tant d'incertitudes. Et aujourd'hui, la mortification pour nous la plus nécessaire et la plus salutaire, ce n'est pas la mortification de la chair par des cilices, des flagellations... C'est la mortification de la confiance, de l'abandon à la Providence, à la suite de la sainte Famille.
La Vierge Marie et saint Joseph, quand Jésus est né, ont dû souffrir bien des privations. Ils ont eu froid, ils ont eu faim. Mais le plus difficile, le plus exigeant pour eux, c'était l'abandon confiant au Père. Marie est devenue Mère de Dieu en disant "fiat" au moment de l'Annonciation, mais ce "fiat", combien de fois n'a-t-elle pas dû le répéter en marchant sur le chemin étroit et escarpé de la volonté de Dieu tout au long de sa vie?
Saint François de Sales, que l'on appelle justement le Docteur de l'abandon, voit dans l'attitude de Jésus lui-même une école de l'abandon chrétien. Cet abandon n'est pas simplement l'abandon musulman (inch'allah), ni même la résignation de Job dans l'Ancien Testament. C'est l'abandon de celui qui est baptisé dans le Sang de Jésus.
Le 1er janvier 1931 (elle avait alors 28 ans, était paralysée depuis l'adolescence, recroquevillée dans son petit divan) Marthe Robin faisait noter sans son journal intime:
On parle beaucoup d'engagement aujourd'hui. On dit: "Il faut s'engager, le chrétien doit s'engager". Or, écrit le Père Molinié, un vieux Père dominicain :
Il est stérile de déplorer tout cela. Si nous aimions vraiment Jésus-Christ, nous nous réjouirions qu'il n'y ait pas de solution, mais qu'il n'y ait plus que Lui, le Sauveur. C'est la bonne manière d'être moderne, et c'est la seule. Même s'ils se laissent tromper par des mirages, les jeunes récament des réalités. La seule que nous puissions leur offrir, c'est l'amour de Dieu. Quand il n'y a plus rien à faire humainement, c'est la seule chose qu'on peut donner; si on ne l'a pas, on n'a rien, on mérite d'être balayé et foulé aux pieds. C'est vrai en face des mourants, des malades, des prisonniers, qui ont tout perdu, des désespérés en général. C'est vrai en fin de compte pour la génération actuelle. Si nous voulons être "actuels", il ne faut pas nous attacher aux valeurs humaines qui s'effondrent, si bonnes soient-elles. (...)
Jeunes ou vieux, si nous n'allons pas vers le Sauveur et sa grâce, nous n'avons plus rien. C'est toujours une erreur de s'attacher à des valeurs humaines, mais aujourd'hui c'est mortel parce qu'elles s'écroulent. La pire manière d'être "de son temps", c'est d'être humaniste. Il y a des époques où c'est possible, où ce n'est pas catastrophique. C'est après tout un bon chemin de commencer par aimer l'homme dans sa vérité, pour s'élever progressivement vers le Royaume. Mais aujourd'hui c'est peut-être une rêverie dangereuse car elle dispense de chercher le vrai remède. Cette génération déséquilibrée ne sera pas "humaine": elle sera divine ou démoniaque, surnaturelle ou décomposée.
Voilà un son de cloche qu'on n'entend pas tous les jours, surtout pas un premier janvier.! Ce sont des paroles vigoureuses qui secouent. Mais je tenais à vous les livrer aujourd'hui. Je les confie à l'intercession de la Mère de Dieu qui est aussi notre Mère. La vocation du prêtre, c'est de vous donner Jésus comme lui seul peut vous le donner. Mais ce n'est pas la seule manière. Marie n'était pas prêtre. Joseph non plus. Ils ont donné Jésus, et rien d'autre, tout en faisant leur devoir d'état d'époux et d'épouse, de père et mère, de charpentier et de femme au foyer, fidèlement, jusqu'au bout.
Alors, par leur intercession, et avec toute l'Église, prions, et demandons à Dieu, non pas comme le monde : "surtout la santé" ; mais comme la liturgie nous l'apprend: surtout la fidélité à l'Évangile:
nous te confions cette année nouvelle ;
Demeure auprès de nous jusqu'à son terme :
qu'elle nous soit, par ta grâce, un temps de bonheur,
et plus encore, un temps de fidélité à l'Évangile.
(Ceci est une adaptation de mon homélie du 1er janvier 2007 qui n'a pas pris une ride, bien au contraire.)