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Publié par Walter Covens

3. La prière, interprète de l'espérance

Voici un épisode bien connu de la vie d'Edith Stein, antérieur à sa conversion. Alors qu'elle était entrée avec une amie dans la cathédrale de Francfort, la bienheureuse aperçut une femme, venant du marché, qui s'agenouilla et pria. Edith Stein affirme que ce spectacle a joué un rôle déterminant dans son cheminement vers la foi: l'image d'une femme toute simple, agenouillée dans une église.

Quelque chose d'indicible, qui paraît aller de soi et pourtant si mystérieux: une relation intime avec le Dieu invisible. Non pas une méditation centrée sur elle-même, mais un abandon silencieux entre les mains d'un autre plein de mystère. Ce qu'Edith Stein a pressenti en voyant prier cette femme fera bientôt l'objet d'une certitude pour elle: Dieu existe, et prier, c'est se tourner vers lui.

Quelle impression a dû faire sur ses disciples la prière silencieuse de Jésus, une prière qui pouvait durer des heures, voire des nuits entières! Que se passait-il dans ce lieu où il se retirait longuement, en silence, pour se consacrer à celui qu'il appelait « Abba » ? « Et il advint, comme il était quelque part à prier, quand il eut cessé, qu'un de ses disciples lui dit: "Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l'a appris à ses disciples" » (Lc 11, 1). Apprends-nous à prier: désir de pénétrer dans cet espace d'intimité silencieuse, offrande attentive à celui qui est présent bien qu'invisible. Le disciple a un tel respect du mystère de la prière de Jésus qu'il n'ose pas interrompre le Seigneur, «faire irruption» dans sa prière en posant sa question. Il attend que Jésus ait fini de prier. C'est alors seulement qu'il ose demander: « Apprends-nous à prier. »

Ne sommes-nous pas touchés lorsqu'en entrant dans une église nous découvrons que quelqu'un est là, qui prie? Une telle scène éveille-t-elle notre désir de prier? Dans ces moments-là, entendons-nous le murmure de la source qui réveille notre désir d'eau vive? A l' exemple de ce qu'écrivait Ignace d'Antioche, le martyr: «En moi ( ... ), une eau vive, qui murmure et chuchote à mon cœur: "Viens auprès du Père". » (Lettre aux Romains, 7, 2, dans Les Pères apostoliques. Ecrits de la primitive Eglise, Paris, Seuil, 1980, pp. ] 36-137)

Pour nous séduire, nous attirer vers le Père, l'Esprit Saint suscite en nous le désir de prier. Ce désir est déjà une prière, c'est déjà la prière de l'Esprit du Christ en nous, «en des gémissements ineffables» (Rm 8, 26).

Une question doit nous préoccuper aujourd'hui: le terrain de la prière n'est-il pas en train de se dessécher? Le tumulte de notre époque ne recouvre-t-il pas le «murmure» discret de la source de l'Esprit Saint? La prière peut-elle s'épanouir quand l'Américain moyen passe quinze ans de sa vie devant son poste de télévision, comme le rapporte Neil Postman dans son livre-choc Se distraire à en mourir (Se distraire à en mourir, Paris, Flammarion, 1986) ? Faut-il voir un clin d'œil de la providence dans cette coïncidence: dans le Code de droit canonique, le paragraphe qui met en garde les religieux (eux seuls ?) contre un mauvais usage des médias, susceptible de causer des dommages à leur vocation spirituelle, porte le numéro 666, le chiffre de la bête dans l'Apocalypse? Incontestablement, beaucoup de choses sont préjudiciables à la prière dans la société actuelle.

Et pourtant, nous pouvons espérer qu'aucune sécularisation n'étouffera totalement l'appel de Dieu dans le cœur de 1 'homme. Quand j'aperçois les innombrables bougies allumées nuit et jour devant l'autel de Maria-Potsch, dans la cathérale Saint Etienne, à Vienne, j'y vois un signe indiquant que la dernière heure de la prière n'a pas encore sonné. Car la prière est l'expression d'un ardent désir qui n'a pas été «produit» par nous, mais que Dieu lui-même a imprimé dans le cœur de l'homme. C'est là un exemple du «fecisti nos ad te» («Tu nous as faits pour toi») de S. Augustin.

Les bougies allumées dans la cathédrale devant l'image miraculeuse de la Mère de Dieu sont des témoignages d'espérance. Qui prie, espère. Qui n'a aucun espoir d'être entendu ne peut pas prier. Nous ne demandons quelque chose à quelqu'un que lorsque nous avons bon espoir que notre requête soit entendue. «La demande interprète l'espérance », affirme S. Thomas (Summa theologiae, IIa-IIae, q. 17, . 4, obj. 3).

La manière dont nous prions permet de mesurer la qualité de notre espérance. Qu'est -ce que nous demandons? Quel est l'objet de notre espérance? La prière et l'espérance sont étroitement apparentées. Les deux reposent en effet sur cette conviction: ce que nous demandons et ce que nous espérons n'est pas en notre pouvoir, mais peut nous être offert.

Mais que pouvons-nous espérer et que devons-nous demander? S. Thomas écrit dans sa longue quaestio sur la prière (la plus longue de toute la Somme) : «La prière est en effet comme l'interprète de notre désir devant Dieu. Nous ne lui demandons à bon droit que ce que nous pouvons désirer de même. Or la prière du Seigneur non seulement demande tout ce que nous sommes en droit de désirer, mais elle le fait dans l'ordre même où l'on doit le désirer; si bien qu'elle ne nous enseigne pas seulement à demander, mais à régler tous nos sentiments »(Id., lIa IIae, q. 83, a. 9). Sit informativa totius nostri affectus, la proposition est magnifique: le Notre Père conforme de manière optimale toute notre vie affective. Il établit les vraies priorités dans notre volonté et notre désir, et par là dans notre prière.

Sait-on spontanément pourquoi le premier objet de notre désir, celui auquel nous devons aspirer avec le plus de force doit être: « Que ton règne vienne », « Que ta volonté soit faite» ? Ce qui occupe la première place, ce que nous demandons le plus souvent d'abord, avec un sentiment d'urgence, ce qui nous oppresse, c'est autre chose, qui est lié aux difficultés de la vie: le souci du pain quotidien (combien de personnes sont inquiètes à propos de leur place de travail ou l'ont déjà perdue !) ; les préoccupations relatives à la vie en commun («Pardonne-nous nos offenses ... »); mais surtout ce qui a trait à la protection contre le mal et à-la tentation, les situations difficiles et sans issue («Ne nous soumets pas à la tentation », «Délivre-nous du mal»).

Lorsque nous formulons ces demandes, nous nous tournons déjà vers Dieu. C'est de lui que nous attendons, que nous espérons effectivement une aide dans toutes ces difficultés. «La prière, c'est l'espérance en action », dit le cardinal Ratzinger (J. RATZINGER, Regarder le Christ. Exercices de foi, d'espérance et d'amour, Paris, Fayard, 1992, p. 80), car «prier est la langue de l' espérance » (Id., p. 79). «Un homme désespéré ne prie plus, car il n'espère plus; un homme sûr de lui et de son pouvoir ne prie pas, car il ne compte que sur lui-même. Celui qui prie espère une bonté et un pouvoir qui dépassent ses propres capacités. » (Id., p. 80)

Si nous prions vraiment pour ce qui fait l'objet des quatre demandes de la seconde partie du Notre Père, alors nous espérons déjà, et cette espérance dépasse ce qui est demandé pour se porter sur celui-là même que nous implorons: «Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite ... » Cette prière devient alors l'expression d'une confiance toujours plus grande, une confiance qui ose finalement appeler Dieu «Notre Père ».

La prière du Notre Père est informativa totius nostri affectus, dit S. Thomas. Et effectivement, la liste des témoignages rapportant que des hommes et des femmes ont été «guéris» en profondeur en récitant le Notre Père - je pense à Dimitri Panine, l'ami d'Alexandre Soljenitsyne ou à Tatiana Goritscheva, qui a reçu la grâce de la conversion en récitant le Notre Père (Cf. Dimitri PANINE, Mémoires de Sologdine, Paris, Flammarion, 1975 et Tatiana GORITSCHEVA, Nous, convertis d'Union soviétique, Paris, Nouvelle Cité, 1983) - ne cesse de s'allonger. Si notre affectus est marqué du sceau –du Notre Père, notre volonté et notre désir seront sains et ne feront pas obstacle à l'action de Dieu. Notre prière deviendra toujours plus efficace, car elle répondra vraiment aux plans de Dieu et coopérera avec la divine providence. Alors notre prière correspondra au «désir de l'Esprit », «son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu» (Rm 8, 27).

S. Thomas affirme dans le Compendium theologiae que le Notre Père est «une manière de prière qui excite extrêmement notre espérance en Dieu » (Compendium theologiae II. 1 (Bref résumé de la foi chrétienne, trad. Jean Kreit, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1985, p. 441).

Christoph Schönborn, Aimer l'Église, Éd. Saint-Augustin/Cerf 1998, p. 127-131)
 
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