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Publié par Walter Covens

Le pardon, bonheur des pauvres (Lc 6, 27-38) - Homélie 7ème dimanche du T.O. Année C

Écoutez l'homélie - Première partie

Écoutez l'homélie - Deuxième partie

Écoutez l'homélie - Troisième partie

    Dimanche dernier Jésus nous disait: "Heureux, vous les pauvres: le royaume de Dieu est à vous!" (Luc 6, 20). Cela veut dire que ce Royaume, c'est non seulement le Royaume du Dieu pauvre, mais aussi le Royaume de tous les pauvres. Le Royaume, qui est celui de Dieu par nature, est celui de sa pauvre créature aussi, mais par grâce, par pure grâce. Voilà l'Évangile!



    Croire en cet Évangile, en cette Bonne Nouvelle, suppose un devoir de reconnaissance, de gratitude. Selon le Petit Robert, la gratitude est "un sentiment qui pousse à éprouver vivement un bienfait reçu, à s'en souvenir et à se sentir redevable envers le bienfaiteur". "C'est une fleur qui pousse dans bien peu de jardins", ai-je entendu dire un jour par une personne déçue de l'attitude de quelqu'un envers qui elle s'était montrée particulièrement généreuse et qui en avait fait très peu de cas.



    La générosité n'est pas le monopole des chrétiens. Mais en tout acte généreux, produit par la nature humaine laissée à elle-même, il y a toujours encore une recherche de soi-même, la recherche d'une récompense. On se montre généreux avec une idée derrière la tête, pour récolter ne fût-ce que de l'estime. C'est une manière de se faire valoir, de s'y retrouver dans ses dépenses.



    Mais quand la grâce de Dieu s'en mêle, il en va tout autrement. Nous donnons alors gratuitement, car nous avons reçu gratuitement (cf. Matthieu 10, 8). D'un point de vue chrétien la gratitude n'est plus alors une manière de "payer" ce que l'autre nous a donné. C'est, tout au contraire, reconnaître que nous ne pourrons jamais payer, même en versant notre sang. C'est ce que la Bible appelle "rendre grâce" au Seigneur. Rendre grâce ne consiste évidemment pas à rendre au Seigneur ce qu'il nous a donné. Cela serait impossible. Rendre grâce, c'est reconnaître, au contraire, que nous ne pourrons jamais lui rendre ce qu'il nous a donné; c'est reconnaître que ce que nous avons reçu de la part du Seigneur n'est pas un salaire, quelque chose que nous aurions mérité, mais un pur effet de la miséricorde, de la grâce (gratuité) de Dieu, lui qui donne son Royaume, non pas aux riches (en argent, ou en vertus et en mérites), mais aux pauvres. 

 

      Comment peut-on parler alors, comme on le voit dans la Bible, de sacrifice d'action de grâce. N'est-ce pas un peu contradictoire?Qu'est-ce qu'on sacrifie au Seigneur quand on lui rend grâce? ... On lui sacrifie sa propre gloire, la gloire que nous pourrions tirer de nos bonnes actions.



    Jésus pose alors la question trois fois de suite, en espérant que nous comprendrons (dommage que la traduction est un peu fade): "Quelle reconnaissance pouvez-vous attendre?" Le mot grec employé par S. Luc est "charis", qui se traduit par "grâce": "Quelle grâce vous revient?" La relation au Père, qui est l'esprit filial de Jésus, est ici fondamentale. C'est déjà une préparation à la parabole du Bon Père: "mon fils" - "ton frère" (Luc 15, 24.32). Être pauvre, c'est ressembler à Jésus; c'est ne vivre que de la grâce du Père pour la transmettre sans compter.



    Souvenons-nous du discours inaugural de Jésus dans la synagogue de Nazareth, où il se présente comme celui qui "accomplit" "aujourd'hui" ce qui est écrit dans le Livre d'Isaïe:

 

L'Esprit du Seigneur est sur moi
parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction.
Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres,
et aux aveugles qu'ils verront la lumière,
apporter aux opprimés la libération,
annoncer une année de bienfaits
accordée par le Seigneur. (Luc 4, 18-19)

 


    Voilà l'Évangile de la grâce de Dieu. Jésus ne reçoit la plénitude de la grâce que pour annoncer aux pauvres la Bonne Nouvelle de la grâce.



    Mais la suite du récit de S. Luc nous montre combien, paradoxalement; il est difficile de l'accueillir quand on est riche. Et cela est fondamental si nous voulons comprendre pourquoi nous éprouvons tant de difficulté à pardonner aux autres le mal qu'ils nous ont fait. Si l'Évangile nous le demande, cela n'est pas quelque chose au-dessus de nos forces à partir du moment où nous-mêmes, nous accueillons le pardon, la grâce de Dieu, qui nous donne gratuitement le Royaume. Si nous n'accueillons pas cette grâce comme une grâce, si nous continuons de compter sur nos propres richesses pour essayer d'entrer dans le Royaume, évidemment, le pardon devient non seulement difficile mais vraiment impossible.



    C'est ce qui explique que tant qu'Israël vivait dans l'attente de cet "aujourd'hui" de Jésus, de cet accomplissement des prophéties, le vrai pardon des frères, que Jésus demande, n'était pas encore possible. Cela ne veut pas dire que tous les Juifs vivaient dans la haine et la rancune. Car dans la mesure où la grâce de Dieu avait commencé à être donnée partiellement et ponctuellement, cette grâce partielle et ponctuelle pouvait déjà, dans la mesure où elle était aussi effectivement accueillie avec un coeur de pauvre, porter de beaux fruits.



    L'attitude de David envers Saül (première lecture.) en constitue un bel exemple. Saül est tombé en disgrâce devant le Seigneur, car il n'a pas obéi. Lui qui, sans aucun mérite de sa part, avait reçu du Seigneur le pouvoir de diriger le Royaume d'Israël, s'était peu à peu approprié cette grâce. Il n'était plus ce pauvre à qui le Seigneur avait fait miséricorde. Il n'était plus le bon gérant de cette grâce. Il s'en était fait le propriétaire en agissant à sa guise, au lieu d'écouter la Parole que le Seigneur lui adressait par la prophète Samuel. David est alors celui que le Seigneur a choisi pour lui succéder. Personne, pas même son propre père, n'avait songé à lui. Mais c'est lui, le pauvre petit berger, que le Seigneur est allé chercher de derrière les troupeaux, de préférence à ses frères, pour en faire le roi d'Israël.



    David, contrairement à Saül, est profondément marqué pas cette grâce. Et c'est cela sans doute qui fera qu'il ne commettra jamais aucune faute envers Saül, qui pourtant le persécute sans raison. À ce moment-là, David ne dira pas: "Comment? J'ai fait tant de choses pour toi! En jouant de la musique pour toi, j'ai adouci tes mœurs et rendu la paix à ton âme tourmentée. Par mes prouesses militaires contre Goliath et l'armée des Philistins, j'ai apporté la sécurité à ton Royaume. Et maintenant tu me persécutes? Tu en veux à ma vie? Ça ne va pas se passer comme ça! Trop c'est trop!"



    Le récit nous montre alors qu'effectivement, David aurait eu l'occasion de se venger et d'éliminer son rival qu'il surprend en pleine nuit en train de dormir. Abishaï, son frère d'armes, le lui suggère. Il ne le fait pas. Il n'étendra pas la main sur Saül. Mais son refus de rendre le mal pour le mal n'est pas encore le pardon des offenses que Jésus demandera plus tard. David, au contraire, pense que la vengeance est un plat qui se mange froid. Mieux encore, il "thésaurise la vengeance à intérêts composés", comme le disait le Père Barthélemy, mon professeur de théologie de l'Ancien Testament:



    Il amasse des charbons ardents sur la tête de son ennemi (voir Psaume 25, 21-22; Romains 12, 20). Attitude très vétéro-testamentaire, mais dont David est l'initiateur. Refuser de se venger est senti par lui comme un gage de protection divine pour l'avenir. En effet, alors que la vengeance rééquilibrerait perpétuellement la balance de la Justice divine, le renoncement à la vengeance augmente systématiquement le déséquilibre et force la Justice divine à prendre parti.



    L'attitude de David est donc dictée, non pas par le pardon, mais par le calcul d'un intérêt supérieur: il refuse de se venger lui-même, mais il compte sur Dieu pour le faire d'autant mieux.


    Cette non-vengeance provisoire de David est encore dictée par deux autres calculs par lesquels il compte bien un jour engranger les "intérêts composés", au lieu des intérêts simples que lui rapporterait une vengeance immédiate. Cette façon de faire gagne à David de précieuses sympathies dans le camp de son adversaire, au lieu de durcir les haines comme l'aurait fait une vengeance sanglante. Ainsi David isole Saül et l'accule au désespoir. Enfin, en respectant l'inviolabilité de "l'Oint du Seigneur" jusque dans son persécuteur, il assure d'avance la stabilité de sa royauté future. Il se dit: si je respecte Saül comme roi, on me respectera aussi quand je serai roi à mon tour... et que je ferai quelques bêtises, moi aussi.


    Remarquez que si telle a été l'attitude de David vis-à-vis de Saül, il en va tout autrement envers ses autres ennemis. En mourant il donne encore la consigne à Salomon, son fils et successeur sur le trône, de se venger de ses ennemis...


    Ici on mesure toute la distance entre l'attitude de David envers ses ennemis et celle de Jésus envers nous: "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font". Les bénéficiaires de cette prière de Jésus, ce ne sont pas seulement les Juifs et les Romains qui ont crucifié Jésus il y a deux mille ans. Pour autant que nous continuons à crucifier Jésus par nos péchés, nous sommes directement concernés, et davantage encore que les Juifs et les Romains! Ce n'est pas seulement pour eux, mais pour nous aussi, que Saint Paul écrit:

 

Alors que nous n'étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les coupables que nous étions. Accepter de mourir pour un homme juste, c'est déjà difficile ; peut-être donnerait-on sa vie pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. (Romains 5, 6-8)

 


    Voilà la gratuité du don, du par-don de Dieu. aucun calcul, ici, aucun intérêt. Voilà comment non seulement nous avons été admis dans le Royaume, mais comment Dieu a fait de nous des rois. Aimer ses ennemis n'est donc pas une simple figure de style, c'est simplement faire ce que fait le Père quand il nous aime.

 
Mais vous, vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu ; vous êtes donc chargés d'annoncer les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. (1ère lettre de Pierre 2, 9)

 


    C'est pourquoi, dit S. Paul, nous mettons notre orgueil, non pas en nous-mêmes, pas même dans nos B.A. et notre pardon:

 

nous mettons notre orgueil en Dieu, grâce à Jésus Christ notre Seigneur, qui nous a réconciliés avec Dieu. (Romains 5, 11)

 


    Nous avons reçu bien davantage que David. David était devenu roi d'un royaume qui n'était que la préfiguration du Royaume dont nous sommes devenus rois par le baptême. Parce que nous avons reçu davantage que David, il nous est aussi demandé davantage. Il nous est demandé de pardonner comme le Christ nous a pardonné, avec la même mesure, c'est-à-dire: sans mesure, en tendant la joue droite quand on nous frappe sur la joue gauche.


    Le pasteur David Wilkerson raconte dans La Croix et le Poignard, un livre qui est devenu un bestseller, comment le chef de bande d'un gang de New York le menace de le découper en morceaux. Le pasteur lui répond: Tu peux le faire, mais sache que chaque morceau te dira encore "je t'aime".


    Cela ne veut pas dire qu'il faut toujours se laisser marcher sur les pieds. La charité que nous devons à nos ennemis nous commande au contraire de leur tenir tête en certaines circonstances, comme Jésus nous le montre dans l'Évangile. La légitime défense, une action en justice... ne sont pas nécessairement inconciliables avec un vrai pardon, si l'on a épuisé toutes les autres manières de préserver le bien particulier d'une personne ou le bien commun d'une société. Ste Jeanne d'Arc en est un exemple: pour chasser les Anglais hors de France, le Seigneur lui a donné la mission de prendre la tête d'une armée. Elle l'a fait par amour pour Dieu, pour la France, et non pas par haine pour les Anglais...

Le pardon, bonheur des pauvres (Lc 6, 27-38) - Homélie 7ème dimanche du T.O. Année C
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