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Publié par dominicanus

Conversion et mission

 

Une conversion ?

           

Vocation missionnaire et « conversion » sont strictement liées en saint Paul. Pour cette raison il est intéressant d’étudier la nature de cette transformation spirituelle pour mieux comprendre sa vocation missionnaire.

 

            Paul parle peu de cet événement dans ses épîtres. Les principaux textes sont 1 Co 15,1-11, Ga 1,13-17 et Ph 3,2-14, mais ceux-ci sont pauvres en détails historiques. L’Apôtre en développe surtout le sens profond. Il parle d'une expérience qui a complètement transformé son existence, mais il ne la conçoit pas comme quelque chose d'isolé. Il a été appelé depuis le sein maternel (Gal 1,15). On ne doit donc pas lire cette rencontre avec le Christ sans prendre en considération l'ensemble de son existence.

 

            Quel c'est le sens de cet événement ? On parle de conversion, cela serait inexact si on interprétait ce terme comme passage d’une religion à une autre. De fait, Paul ne considère jamais être passé d'une religion à l'autre. Il nous faut aussi noter que la rupture entre judaïsme et christianisme n'était pas encore effective à cette époque. Il s’agit d’une conversion dans le sens profond du terme, une ouverture du cœur à Dieu, l’irruption de la grâce et la transformation de la personne.

 

            Paul commente sa rencontre avec le Christ en disant : « Mais quand Celui qui dès le sein maternel m'a mis à part et appelé par sa grâce daigna révéler en moi son Fils pour que je l'annonce parmi les païens ». (Ga 1,15-16) L'Apôtre perçoit ce bouleversement intérieur non comme le fruit d’une longue maturation initiée dès le début de son existence : de sa naissance il a été mené par Dieu, lentement et avec patience, jusqu'à le ce moment décisif où Christ l'a pris et, pour toujours, l'a fait sien (Ph 3,12). Paul insiste dans ses épîtres sur l'initiative divine. Tout change à ce moment-là.

 

Cette conversion est une nouvelle naissance. Cet événement est porteur d'une nouveauté radicale. Paul est aveuglé par la révélation du Christ. Le baptême lui rend la vue (Ac 9,18), symbole très fort. Le vieil homme ne peut pas voir tant quand il n'est pas né à la nouvelle vie. C'est un nouveau monde qui se révèle à l'Apôtre. Toute la pensée de Paul se fonde en cette expérience. Ce n'est pas une simple vision du Christ. C'est la révélation de la transformation profonde du monde opérée par le Christ ressuscité. Paul insiste dans ses écrits sur la distinction entre l’ancien monde et le nouveau monde. Il a vécu cette distinction dans sa chair.

 

            Paul emploi deux expressions pour décrire ce qui s’est passé : le Christ « s’est fait voir » à lui (1 Cor 9,2 ; 15,8) et l’Apôtre a connu une « révélation »  (Gal 1,16 ; 2,2 ; Ep 3,3), terme qu'il reprend à plusieurs reprises (Rm 16,25 ; 1 Co 1,7 ; 2 Co 12,1.7 ; liste non exhaustive). Chacun de ces deux termes décrit une action divine. Le Christ se fait voir plus qu'il est vu. Les verbes employés lorsque Paul parle de cette vision sont à la forme passive. Dieu se révèle à l'homme. C'est une communication du mystère divin. Ce n’est pas sans raison qu’en Ep 1,17 Paul parle de « l’Esprit de sagesse et de révélation », source de la connaissance du mystère de Dieu pour les chrétiens.

 

Le missionnaire

 

            Cette révélation ne trouve pas sa raison d'être en elle-même. Paul commente en disant qu'elle lui a été faite "pour que je le (le mystère du Christ) proclame chez les païens." La révélation le destine à être missionnaire. Mais cette mission est interprétée sur le modèle de la vocation du prophète. Gal 1,15-16 est construit avec deux allusions aux vocations des prophètes Isaïe (Is 49,1)  et Jérémie (Jr 1,5). Paul comprend sa vocation missionnaire pour les nations comme continuation de la mission des prophètes et plus spécifiquement, du serviteur du Seigneur en Isaïe. Le missionnaire est le messager qui accomplit la mission du serviteur du Seigneur exprimée en Is 40-55. De la même manière, à Corinthe Paul a une vision où il lui est dit : « Sois sans crainte. Continue de parler, ne te tais pas. Car je suis avec toi, et personne ne mettra sur toi la main pour te faire du mal, parce que j'ai à moi un peuple nombreux dans cette ville. » (Ac 18,9-10).  Nous avons en Is 41,10 : « Ne crains pas car je suis avec toi, ne te laisse pas émouvoir car je suis ton Dieu; je t'ai fortifié et je t'ai aidé, je t'ai soutenu de ma droite justicière. »  Paul doit accomplir à Corinthe l'oeuvre du serviteur de Dieu.

 

            La plupart de ces textes concernent Isaïe, et plus particulièrement la figure du serviteur de Yahvé. La première catéchèse chrétienne a reconnu en ce personnage mystérieux une prophétie du Christ. Il nous suffit de nous rappeler le dialogue entre l’eunuque éthiopien et Philippe sur la route de Gaza (Ac 8,30-35). Par conséquent Paul, en s’appliquant à lui-même les prophéties du serviteur, conçoit sa mission comme prolongement de la mission du Christ. Cette identification du prédicateur avec son Seigneur doit être comprise dans un sens dynamique et non statique. Nous touchons là un point fondamental de la théologie de Paul : l’identification au Christ commencée au baptême et réalisée tout au long de l’existence chrétienne. « Etre saisi » par le Christ (Ph 3,12) conduit à cette transformation intime de la personne. Cela se vérifie d’une manière particulière pour l’Apôtre.

 

            L’auto justification de Paul face à des critiques est très riche en enseignements (2 Co 4,7-15). Paul se voit contraint de justifier sa qualité d'Apôtre face à des missionnaires judéo-chrétiens peu soucieux de respecter celle-ci. « Ce trésor nous le portons dans des vases d’agiles pour que cet excès de puissance  soit de Dieu et ne vienne pas de nous. » Ce verset énonce la thèse qu'il démontre dans les versets suivants : la fragilité de l'Apôtre dans son apostolat, vécu dans les persécutions, n'est pas un signe de faiblesse, mais la condition nécessaire pour que le trésor qu'il porte, la connaissance du Christ, puisse être manifesté et que la communauté chrétienne puisse recevoir la vie du Ressuscité. Les versets 10 et 11 illustrent l'identification de ses souffrances à celles du Christ. Il affirme : « nous sommes livrés à la mort ». Or, l’expression « être livrée » est utilisée habituellement tant par Paul que par les évangélistes pour désigner la Passion du Christ. Il poursuit cette identification au verset 14 quand il affirme qu'il ressuscitera avec Jésus. Sa mission consiste donc à donner sa vie comme le Christ. « Nous portons toujours et partout en notre corps les souffrances de mort de Jésus, pour que la vie de jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre corps. » (2 Co 4,10) Ce verset suggère que la mort oeuvrant dans le prédicateur est source de vie pour la communauté, tout comme la mort du Christ est la source de notre vie. Par son ministère d'Apôtre, il rend le sacrifice rédempteur du Christ présent. « J’accomplie dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ » (Col 1,24). Nous avons là l’essence eucharistique de toute vie missionnaire.

 

Pour les nations

 

            L’universalité est une des caractéristiques essentielles de la mission de Paul. C’est la conséquence directe de la nature de la nouvelle foi. Il doit annoncer l’Evangile chez les païens. Cette affirmation de Ga 1,16 est largement confirmée par la promesse d'assistance en Ac 26,17 : « C'est pour cela que je te délivrerai du peuple et des nations païennes, vers lesquelles je t'envoie, moi. » Paul sera devant les Juifs et les païens un témoin du Ressuscité, envoyé par le Seigneur exalté, que, comme les douze, il a personnellement vu. Un autre récit de vision fonde cette mission près des païens. Ac 22,17-21 rapporte une vision située dans le temple. Paul doit aller vers les « nations ». Cela peut s’entendre tant des non juifs que des peuples qui résident en dehors de Jérusalem. Nous avons là un des points centraux de la nouveauté de la foi chrétienne et de la théologie de Paul : l'universalité du Salut. Le Christ a donné sa vie pour la multitude et il veut que tout homme soit sauvé. Sa charité ardente du cœur d’apôtre le conduira à vouloir se rendre en Espagne (Rm 15,24), extrémité connue du monde de ce temps.

 

Mission et Eglise

            Paul se dit « apôtre », alors qu’il ne fait pas partie des douze. Ce substantif vient du verbe grec qui signifie « envoyer au loin ou au-dehors ». Le droit de Paul à ce titre, qu’il revendique fréquemment, repose sur le fait qu’il a été envoyé par le Christ ressuscité pour prêcher (1 Co 1,17), pour révéler aux Gentils le mystère du Christ (Ga 1,16 ; Ep 3,8). Il est très conscient de l’honneur qui lui est fait : « je suis le moindre des apôtres ; je ne mérite pas le nom d’apôtre parce que j’ai persécuté l’Eglise de Dieu » (1 Co 15,9). Pour être apôtre, il fallait absolument être envoyé ; le seul fait d’avoir vu le Christ ressuscité ne suffisait pas. En 1 Co 15,5-7 Paul oppose les « cinq cent frères » à « tous les apôtres » (eux mêmes distincts des douze). La différence entre ces deux groupes réside dans le fait que les premiers n’ont pas été chargés d’une mission.

 

            Cette précision sémantique introduit la question de l’Eglise. Paul ayant été envoyé directement par le Christ selon son affirmation, peut-il exister une mission en dehors de l’Eglise ?  Nous remarquons dans les différents récits de sa vocation, tant dans les épîtres que dans les Actes, que l’Eglise n’est jamais absente. Si Paul répète souvent que sa mission n'est pas une charge ecclésiastique, mais un vrai charisme divin, nous constatons aussi que c’est la médiation de l’Eglise qui authentifie sa vocation. Il va rencontrer Pierre pour ne pas tomber dans l’illusion d’avoir couru en vain (Ga 2,2). En Ac 9,10-18, nous voyons que l’envoi en mission lui est manifesté par Ananie et non directement par le Christ. La médiation d'Ananie n'avait pas pour but de lui présenter une doctrine nouvelle, mais d'aider Paul à comprendre son investiture apostolique à la lumière de la tradition ecclésiale. Cela est confirmé par les différents renvois à la tradition ecclésiale dans les épîtres de Paul (1 Co 11,2 ; 11,23 ; 15,1). Par ailleurs, Paul aura le souci constant d’être envoyé par une communauté. Cela se vérifie au début de son œuvre missionnaire au départ d’Antioche (Ac 13,1-3), mais aussi jusqu’à la fin de sa vie. Paul écrira à la communauté de Rome, entre autre pour demander le soutien et la reconnaissance de sa mission (Rm 15,24). Il n’y a aucune contradiction entre sa mission et la tradition ecclésiale.

 

(Dossier par P. Jean Baptiste Edart - Agence Fides 28/06/2008; Directeur Luc de Mata)

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