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Publié par dominicanus

Le cardinal écrit, le prince répond. Les raisons qui séparent le pape des musulmans
 

Le désaccord concerne la foi mais aussi les conquêtes des Lumières, qu’il s’agisse de la liberté religieuse ou de la parité entre homme et femme. L’Eglise catholique se les est appropriées, pas l’islam. Lorsque Benoît XVI et les musulmans de la lettre des 138 se rencontreront, parviendront-ils à en discuter?

par Sandro Magister

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ROMA, le 2 janvier 2008 – Au Vatican, l’agenda de la nouvelle année prévoit une rencontre que le cardinal Jean-Louis Tauran, président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, a qualifiée d’"historique" dans une interview accordée à "L’Osservatore Romano" du 30 décembre.

La rencontre est prévue pour le printemps. Elle réunira Benoît XVI et une délégation des 138 musulmans qui ont écrit la lettre ouverte "Une parole commune entre nous et vous" envoyée au pape et à d’autres leaders chrétiens en octobre dernier.

Les représentants de l’islam vont rencontrer en même temps d’autres autorités du Vatican et ils participeront à des séances de travail dans des établissements tels que l’lnstitut pontifical d’études arabes et d’islamologie (Pisai).

C’est l’échange de courrier entre Benoît XVI – par l’intermédiaire du cardinal secrétaire d’état Tarcisio Bertone – et l’une des personnalités à l’origine de la lettre des 138, le prince de Jordanie Ghazi bin Muhammad bin Talal, en novembre et décembre derniers, qui a ouvert la voie à cet événement.

Comme annoncé dans les deux lettres, trois représentants des 138 se rendront à Rome en février ou en mars pour s’accorder sur les rencontres.

Parmi eux, l’unique signataire italien de la lettre des 138, Yahya Sergio Yahe Pallavicini, imam de la mosquée al-Wahid de Milan, et le théologien libyen Aref Ali Nayed, bien connu des lecteurs de www.chiesa, professeur à Cambridge et appelé dans le passé à enseigner au Pisai.

Toujours en février, le cardinal Tauran se rendra à l’université al-Azhar du Caire, la plus importante de l’islam sunnite. Il rencontrera également des membres de l’organisation libyenne World Islamic Call Society et du Royal Institute for Inter-Faith Studies d’Amman (Jordanie).

Dans son interview à "L’Osservatore Romano", le président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux s’est dit "très confiant" et a apprécié les "ouvertures considérables" dont font preuve des groupes importants du monde musulman.

Mais les difficultés à surmonter sont encore grandes. L’échange de lettres entre le cardinal Bertone et le prince de Jordanie montre bien que les deux parties ne sont pas du tout d’accord en particulier sur un point essentiel: les sujets sur lesquels doit porter le débat.

La lettre du cardinal Bertone, datée du 19 novembre et rendue publique une dizaine de jours plus tard, propose trois principaux sujets de discussion: "un respect effectif de la dignité de tout être humain "; "la connaissance objective de la religion de l’autre"; "l’engagement commun à promouvoir le respect et l’acceptation mutuels entre les jeunes".

Dans son commentaire de la lettre de Bertone, le jésuite égyptien Samir Khalil Samir – un des islamologues les plus écoutés par le pape avec un autre jésuite, l’Allemand Christian W. Troll – a souligné que la lettre des 138 n’est pas claire à propos du premier des trois sujets. A tel point que certains signataires ont exprimé leur manque total d’intérêt pour une discussion sur la liberté de conscience, l’égalité entre homme et femme et entre croyant et non-croyant, la séparation entre pouvoir religieux et pouvoir politique. Bref, toutes ces conquêtes des Lumières que l’Eglise catholique a fait siennes mais que l’islam est encore loin d’accepter.

A l’inverse, la lettre du prince de Jordanie au cardinal Bertone, datée du 12 décembre et elle aussi rendue publique une dizaine de jours plus tard, insiste sur le fait que le dialogue entre catholiques et musulmans doit être d’abord "théologique" et "spirituel". Il doit en outre avoir pour objet – plus que des aspects définis comme "extrinsèques" tels que les commandements de la loi naturelle, la liberté religieuse et la parité entre homme et femme – cette "Parole commune entre nous et vous" qui est au centre de la lettre des 138, à savoir l’unicité de Dieu et le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.

Les attaques polémiques contre la position adoptée par le Vatican ne manquent pas dans la lettre du prince de Jordanie. La première se réfère au communiqué diffusé par certains délégués musulmans présents lors de la rencontre interreligieuse qui s’est déroulée du 21 au 23 octobre 2007 à Naples, organisée par la Communauté de Sant’Egidio. Un communiqué écrit pour protester contre certaines déclarations que le cardinal Tauran avait faites à cette occasion au sujet de l’impossibilité presque totale d’une discussion théologique avec l’islam et contre le silence de Benoît XVI, en visite à Naples, à propos de la lettre des 138.

La deuxième attaque se trouve à la fin de la lettre: elle concerne "certaines déclarations récentes en provenance du Vatican et de certains de ses conseillers". C’est à nouveau le cardinal Tauran qui était visé, ainsi que les islamologues Samir et Troll. Ce dernier avait publié dans "La Civiltà Cattolica", avec l’autorisation de la secrétairerie d’état, une analyse critique de la lettre des 138, à l’époque même où le cardinal Bertone écrivait au prince de Jordanie au nom du pape.

Pour en revenir à Benoît XVI, sa vision d’un dialogue idéal avec l’islam reste celle qu’il avait présentée dans un passage de son discours à la curie lors de la présentation des vœux de Noël le 22 décembre 2006:

"Dans un dialogue à intensifier avec l'Islam, nous devrons garder à l'esprit le fait que le monde musulman se trouve aujourd'hui avec une grande urgence face à une tâche très semblable à celle qui fut imposée aux chrétiens à partir du siècle des Lumières et à laquelle le Concile Vatican II a apporté des solutions concrètes pour l'Eglise catholique au terme d'une longue et difficile recherche.

"Il s'agit de l'attitude que la communauté des fidèles doit adopter face aux convictions et aux exigences qui s'affirment dans la philosophie des Lumières.

"D'une part, nous devons nous opposer à la dictature de la raison positiviste, qui exclut Dieu de la vie de la communauté et de l'organisation publique, privant ainsi l'homme de ses critères spécifiques de mesure.

"D'autre part, il est nécessaire d'accueillir les véritables conquêtes de la philosophie des Lumières, les droits de l'homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice, en y reconnaissant les éléments essentiels également pour l'authenticité de la religion.

"De même que dans la communauté chrétienne, il y a eu une longue recherche sur la juste place de la foi face à ces convictions - une recherche qui ne sera certainement jamais conclue de façon définitive - ainsi, le monde musulman également, avec sa tradition propre, se trouve face au grand devoir de trouver les solutions adaptées à cet égard.

"Le contenu du dialogue entre chrétiens et musulmans consistera en ce moment en particulier à se rencontrer dans cet engagement en vue de trouver les solutions appropriées. Nous chrétiens, nous sentons solidaires de tous ceux qui, précisément sur la base de leur conviction religieuse de musulmans, s'engagent contre la violence et pour l'harmonie entre foi et religion, entre religion et liberté".

On peut déduire de l’échange de lettres entre le cardinal Bertone et le prince de Jordanie que le fossé entre catholiques et musulmans reste encore très large et très profond, par rapport à ce cheminement indiqué par Benoît XVI.

Voici donc les textes intégraux des deux lettres, séparés par une courte exégèse de la lettre de Bertone, écrite par le père Samir pour la revue "Mondo e Missione" de l’Institut pontifical pour les missions étrangères:


1. Au prince de Jordanie Ghazi bin Muhammad bin Talal

du cardinal secrétaire d’état Tarcisio Bertone


Votre Altesse Royale,

Le 13 octobre 2007, une Lettre ouverte adressée à Sa Sainteté le Pape Benoît XVI et à d'autres responsables chrétiens a été signée par cent trente-huit chefs religieux musulmans, parmi lesquels figurent Votre Altesse. Vous avez ensuite eu l'amabilité de la remettre Vous-même à Mgr Salim Sayegh, Vicaire du Patriarche latin de Jérusalem en Jordanie, en lui demandant de bien vouloir la faire parvenir à Sa Sainteté.

Le Pape m'a demandé de transmettre sa gratitude à Votre Altesse, ainsi qu'à tous ceux qui ont signé cette lettre. En outre, il souhaite Vous faire savoir qu'il apprécie profondément ce geste, en raison de l'esprit positif qui a inspiré le texte et de l'exhortation à un engagement commun pour promouvoir la paix dans le monde.

Sans ignorer ou diminuer nos différences en tant que chrétiens et musulmans, nous pouvons, et nous devons prêter attention à ce qui nous unit, à savoir la foi dans le Dieu unique, le créateur providentiel et le juge universel qui, à la fin des temps, considérera chaque personne selon ses actions. Nous sommes tous appelés à nous en remettre totalement à lui et à obéir à sa sainte volonté.

Se référant au contenu de l'Encyclique Deus caritas est ("Dieu est amour"), Sa Sainteté a été particulièrement frappée par l'attention accordée dans la lettre au double commandement de l'amour envers Dieu et envers les hommes.

Comme Vous le savez, au début de son Pontificat, le Pape Benoît XVI a affirmé: "Je suis profondément convaincu que nous devons proclamer, sans céder aux pressions négatives du moment, les valeurs de respect réciproque, de solidarité et de paix. La vie de tout être humain est sacrée, que ce soit pour les chrétiens ou pour les musulmans. Nous avons un champ d'action dans lequel nous nous sentons unis pour le service des valeurs morales fondamentales" (Discours aux représentants de diverses communautés musulmanes à Cologne, 20 août 2005). Ce terrain commun nous permet de fonder le dialogue sur un respect effectif de la dignité de chaque personne humaine, sur la connaissance objective de la religion de l'autre, sur le partage de l'expérience religieuse et, enfin, sur notre engagement commun à promouvoir le respect et l'acceptation réciproques chez les nouvelles générations.

Le Pape estime qu'une fois cet objectif atteint, il sera possible de coopérer d'une manière productive au sein de la culture et de la société et pour la promotion de la justice et de la paix dans la société et dans le monde entier.

En encourageant votre louable initiative, je suis heureux de Vous communiquer que Sa Sainteté recevrait volontiers Votre Altesse, ainsi qu'un groupe restreint que Vous voudrez bien choisir parmi les signataires de la Lettre ouverte. En même temps, une rencontre de travail pourrait être organisée entre votre délégation et le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, avec la coopération de certains Instituts pontificaux spécialisés comme l'Institut pontifical d'études arabes islamiques et l'Université pontificale grégorienne. Les détails de ces rencontres pourront été décidés par la suite si vous trouviez recevable le principe de cette proposition.

Je saisis l'occasion qui m'est offerte pour Vous réaffirmer, Altesse, l'assurance de ma plus haute considération.

Cardinal Tarcisio Bertone, Secrétaire d'Etat

Du Vatican, le 19 novembre 2007

__________


2. Commentaire de la lettre du cardinal Bertone

par Samir Khalil Samir


A une lettre de presque 30 pages Benoît XVI a répondu par une autre de moins de 400 mots. Manque de courtoisie? Non, car il s’agit d’une réponse très profonde.

La lettre commence par exprimer une “estime profonde pour l’esprit positif qui a inspiré le texte et pour l’exhortation à un engagement commun pour la promotion de la paix dans le monde”. Et le pape Benoît XVI a souvent invité les uns et les autres à condamner sans ambiguïté la violence.

Le pape poursuit: “Sans négliger ou minimiser nos différences en tant que chrétiens et musulmans, nous pouvons et donc nous devrions nous concentrer sur ce qui nous unit”. Cette vision positive, jamais partiale, est caractéristique de Benoît XVI. Les différences ne doivent pas cacher ce qui nous unit, et inversement. C’est une parole de vérité (qawl al-haqq) comme le Coran (sourate 19,34) dit du Christ: “Il est la Parole de vérité”.

Le pape énumère trois éléments communs: le fait de croire en un Dieu unique, créateur prévoyant et (deuxième élément) juge universel qui, à la fin des temps, jugera chacun en fonction de ses actions. Enfin (troisième élément) le fait que nous sommes tous appelés à nous consacrer entièrement à lui et à obéir à sa sainte volonté.

Pour que tout cela ne reste pas au stade des “vœux pieux”, il fait cependant une proposition – qui est l’élément le plus important de toute la lettre: une invitation à une rencontre de travail entre d’une part un groupe de signataires choisis par le promoteur de la lettre et d’autre part un groupe de spécialistes choisis par le côté chrétien. Le but est de concrétiser la bonne volonté et de la rendre durable. Le pape recense quatre sujets de discussion.

Premier sujet: “le respect effectif de la dignité de tout être humain”. On ne trouve pas dans la lettre des 138 une référence explicite à ce propos. La dignité suppose le respect de la liberté de conscience, l’égalité entre homme et femme, entre croyant et non-croyant, la distinction entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique. Certains rédacteurs musulmans de la lettre pensent que “le dialogue éthico-social a déjà lieu chaque jour, par le biais d’institutions tout à fait séculières. C’est pourquoi de nombreux théologiens musulmans ne sont pas du tout intéressés par un dialogue purement éthique entre culture et civilisation”. Pour le pape, en revanche – comme il l’a dit le 22 décembre 2006 dans son discours aux cardinaux de la curie – “il est nécessaire d’accueillir les vraies conquêtes des Lumières, les droits de l’homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice, en reconnaissant en ces droits des éléments essentiels y compris pour l’authenticité de la religion”. Pour Benoît XVI, “actuellement, le contenu du dialogue entre chrétiens et musulmans consiste surtout à se rencontrer dans un engagement pour trouver des solutions justes”. Avec les musulmans, s’engager “contre la violence et pour la synergie entre foi et raison, entre religion et liberté”. Dans le dialogue, l’Eglise s’inspire de l’Evangile, mais elle ne l’impose pas comme base afin de n’exclure personne. La base est “la dignité de tout être humain”, exprimée au travers des droits de l’homme.

Deuxième sujet: la connaissance objective de la religion de l’autre. En réalité, les chrétiens n’ont pas une vraie connaissance de l’islam et les musulmans n’ont pas une vraie connaissance du christianisme. Cela implique de revoir tous les manuels scolaires mais aussi les discours prononcés dans les églises et dans les mosquées. C’est un vaste programme, long et essentiel.

Troisième sujet: le partage de l’expérience religieuse. La foi est expérience de Dieu, et non pas quelque chose d’intellectuel, une idéologie. Dialoguer, c’est partager l’expérience profonde de l’autre.

Le dernier sujet concerne les plus jeunes. Il convient de faire grandir une nouvelle génération qui promeuve le respect et l’acceptation de l’autre. Ce sont les jeunes, en effet, qui risquent de se laisser entraîner par l’idéologie de la violence. Avec cette réponse de Benoît XVI aux 138, on passe donc des bons sentiments à un projet de construction de la paix, en partant des jeunes.

__________


3. Au cardinal secrétaire d’état Tarcisio Bertone

du prince de Jordanie Ghazi bin Muhammad bin Talal


Eminence,

Je vous remercie de votre aimable lettre datée du 19 novembre 2007, dont un exemplaire m’a été remis par le nonce apostolique en Jordanie le 27 novembre 2007. Je ne suis que l’un des 138 signataires initiaux de la lettre ouverte "Une parole commune entre vous et nous", mais, pour répondre à votre lettre, j’ai contacté et consulté plusieurs hauts responsables et spécialistes religieux Musulmans qui ont signé la lettre ouverte ou lui ont ultérieurement apporté leur soutien. Ils ont gracieusement consenti à ce que je coordonne cette affaire pour eux. C’est pourquoi je puis maintenant vous répondre, pour eux et pour moi, de la manière suivante.

Tout d’abord, nous vous remercions de votre réponse, c’est-à-dire votre lettre et vos suggestions amicales. Nous vous prions également de transmettre nos remerciements à Sa Sainteté le pape Benoît XVI pour ses encouragements personnels et pour l’intérêt qu’il a manifesté.

Deuxièmement, nous sommes également très désireux de rencontrer Sa Sainteté à Rome. En effet nous avons eu connaissance de la récente visite au Vatican de Sa Majesté le roi Abd Allah bin Abd Al-Aziz d’Arabie Saoudite, Gardien des Deux Lieux Saints, ce qui nous encourage.

Troisièmement nous acceptons vraiment, en principe, le dialogue que vous avez proposé ainsi que le concept général et l’organisation. Nous enverrons toutefois, à la date qui vous conviendra le mieux en février ou mars 2008, si Dieu le veut, trois représentants pour définir avec Votre Eminence ou ses représentants les détails d’organisation et les procédures. Si Votre Eminence a une préférence pour telle ou telle date à l’intérieur de la période indiquée ci-dessus, nous la prions de nous informer en conséquence.

Quatrièmement, nous recevons la lettre de Votre Eminence comme une réponse à notre Lettre Ouverte Une Parole Commune. De plus Votre Eminence dit que : "Sa Sainteté a été particulièrement impressionnée par l’attention qui est donnée, dans la lettre, au double commandement de l’amour de Dieu et du prochain" et "que nous pouvons et devons donc prêter attention à ce qui nous unit, c’est-à-dire la foi en un Dieu unique, le Créateur prévoyant et le Juge universel qui, à la fin des temps fixera le sort de chaque être humain en fonction de ce qu’il ou elle aura fait" et cela sans jamais "négliger ou minimiser nos différences en tant que Chrétiens et Musulmans". Nous comprenons donc que la dimension intrinsèque de ce dialogue spécifique Catholiques-Musulmans sera fondée, si Dieu le veut, sur notre lettre Une Parole Commune – qui est essentiellement, comme vous le savez, une affirmation du Dieu unique et du double commandement de l’amour de Dieu et du prochain – même s’il se révèle qu’il y a des différences entre nous quant à l’interprétation ou la compréhension du texte de cette lettre, chacun s’appuyant sur sa sensibilité et ses traditions religieuses. Ces différences elles-mêmes sont probablement aussi un sujet de discussion entre nous et devraient être une occasion de respect et de célébration réciproques, et non de disputes qui divisent.

Nous croyons aussi que Sa Sainteté Benoît XVI a proposé de prendre les Dix Commandements (Exode 20, 2-17 et Deutéronome 5, 6-21) comme base de dialogue entre Juifs, Chrétiens et Musulmans. Nous n’avons pas d’objection à prendre, en outre, cette excellente idée comme base de la dimension extrinsèque de notre dialogue (puisque ces Commandements sont également prescrits plusieurs fois dans le Coran, sous différentes formes), à l’exception du Commandement de respecter le jour du Sabbat, que le saint Coran cite comme ayant été institué par Dieu pour les Anciens Israélites mais que les Musulmans ne sont plus tenus de respecter en tant que tel. Par "intrinsèque", j’entends ce qui se réfère à nos âmes et à leur constitution intérieure et, par "extrinsèque", j’entends ce qui se réfère au monde et donc à la société.

Nous comprenons donc que c’est sur cette base intellectuelle et spirituelle commune que nous allons poursuivre, si Dieu le veut, un dialogue portant sur les trois sujets généraux de discussion que Votre Eminence a sagement mentionnés dans sa lettre: (1) "Respect effectif de la dignité de tout être humain"; (2) "Connaissance objective de la religion de l’autre" par "le partage de l’expérience religieuse" et (3) "Engagement commun à promouvoir le respect et l’acceptation mutuels auprès de la jeune génération". Nous pourrions peut-être aussi discuter de la manière de donner aux résultats de notre dialogue sur ces trois sujets une application concrète entre Chrétiens et Musulmans, également fondée sur "Une Parole Commune" et sur les Dix Commandements (à l’exception de la remarque ci-dessus à propos du Sabbat).

Cinquièmement, notre "vision" du dialogue a été exprimée exactement par le communiqué publié par quelques uns des délégués musulmans à l’occasion de la rencontre "Pour un monde sans violence: religions et cultures en dialogue", (Naples, 21-23 octobre 2007, à la communauté de Sant’Egidio), qui déclarait:

Par définition le dialogue a lieu entre des personnes dont les points de vue sont différents, pas entre des gens qui sont du même avis. Dans le dialogue, il ne s’agit pas d’imposer son avis à son interlocuteur, ni de décider soi-même ce dont l’autre est capable ou incapable, ni même ce qu’il croit. Le dialogue commence avec une main ouverte et un cœur ouvert. Il propose mais ne décide pas tout seul du programme. Il s’agit d’écouter l’autre quand il exprime librement son point de vue et de s’exprimer soi-même. Le but est de voir où il y a des points communs afin de s’y rencontrer et, de cette façon, de rendre le monde meilleur, plus pacifique, plus harmonieux et plus aimant.

Notre "raison" de dialoguer est essentiellement que nous voulons chercher la bonne volonté et la justice pour pratiquer ce que nous, Musulmans, appelons rahmah (et qu’il vous plaît d’appeler caritas) afin de chercher par ce moyen Rahmah auprès de Dieu. Le prophète Mahomet (paix et bénédiction de Dieu sur lui) a dit: A celui qui ne manifeste pas de miséricorde, il ne sera pas manifesté de Miséricorde (Sahih Bukhari, Kitab Al-Adab, n° 6063).

Enfin notre "méthode" de dialogue est en accord avec le Commandement Divin qui figure dans le Saint Coran: Ne discutez avec les gens du Livre que de la manière la plus courtoise, sauf avec ceux d’entre eux qui font le mal (et qui vous blessent). Dites: "Nous croyons à la révélation qui est descendue vers nous et à la révélation qui est descendue vers vous. Votre Dieu et notre Dieu sont Un et nous Lui sommes soumis" (Al-Ankabut, 29:46).

Nous sommes convaincus, bien sûr, que votre attitude générale envers le dialogue est semblable à la nôtre, puisque nous avons le plaisir de lire (dans la première épître aux Corinthiens 13, 1-6) ces paroles de Saint Paul :

"Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. La charité est longanime ; la charité est serviable ; elle n’est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se rengorge pas. Elle ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal. Elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité".

Je ne mentionne ces derniers éléments qu’en raison de quelques déclarations récentes provenant du Vatican et de certains de ses conseillers – elles ne peuvent pas avoir échappé à l’attention de Votre Eminence – à propos du principe même du dialogue théologique avec les Musulmans. Néanmoins, même si beaucoup d’entre nous considèrent que ces déclarations ont été remplacées par votre lettre, nous souhaitons vous redire que, comme vous, nous considérons qu’un accord théologique complet entre Chrétiens et Musulmans n’est, par définition, pas possible en soi, mais que nous souhaitons encore chercher et promouvoir une position commune et une coopération fondée sur nos points d’accord (comme indiqué ci-dessus) – que nous souhaitions appeler cette sorte de dialogue "théologique" ou "spirituel" ou toute autre chose – dans l’intérêt du bien commun et en vue du bien du monde entier, si Dieu le veut.

Je profite de cette occasion pour vous exprimer mes meilleurs vœux et mon profond respect et je vous prie de transmettre à Sa Sainteté le Pape Benoît XVI nos meilleurs vœux anticipés de très joyeux et paisible Noël.

Ghazi bin Muhammad bin Talal

Amman, Jordanie, le 12 décembre 2007

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La lettre des 138, sur le site qui lui est consacré:

> Une parole commune entre vous et nous

La liste des premiers signataires:

> Signatories

Et les adhésions ultérieures:

> New Signatories

Parmi les nouveaux arrivants dans la liste des signataires, on compte Tariq Ramadan. Le 24 décembre dernier, la cour fédérale de l’état de New York a confirmé son interdiction d’entrée aux Etats-Unis, "à cause de donations effectuées en faveur d’organisations qui soutiennent des groupes terroristes".

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Les réactions et commentaires à la lettre des 138 qui ont précédé l’échange de messages entre le cardinal Bertone et le prince de Jordanie, avec tous les liens utiles:

> Pourquoi Benoît XVI est si prudent au sujet de la lettre des 138 musulmans (26.11.2007)

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Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.

(Source : www.chiesa)
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